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Renée la limace

Petit, j’avais eu des verrues sur les mains. Pas très nombreuses je crois. Disgracieuses sûrement. Un été à la campagne, on m’invita à les frotter avec le mucus secrété par les grosses limaces orange qui sortent à la faveur de la fin de journée. Je tentai le procédé de bonne grâce, n’ayant aucun dégoût pour les remèdes de bonne fâme ni pour les gastéropodes, même vivants. Le remède fonctionna à merveille. Dans un laps que je ne saurais apprécier aujourd’hui, mais certainement extraordinairement bref (la veille pour le lendemain ?), les verrues disparurent toutes et, surtout, ne réapparurent jamais. Cette année cependant, une verrue (mais discrète, peu colorée, translucide, point trop granuleuse, presque jolie) a poussé sur mon index gauche. L’autre jour, pendant la promenade, me revint le souvenir des limaces, parce que nous en évitions des dizaines dans l’herbe du chemin. J’en saisis une, prénommée Sophie, et frottai ma verrue avec son ventre avant de la relâcher, recroquevillée, mécontente, un peu asséchée mais indemne. J’ai répété le même geste plusieurs jours de suite, avec Edmonde, Renée, Jessica et d’autres donatrices anonymes et muettes. Le traitement n’a rien donné, sinon peut-être une légère coloration de l’excroissance. Je suis perplexe : les limaces de mon enfance étaient-elles plus efficaces, plus « chargées » en principes médicamenteux ? le dysfonctionnement physiologique qui est à l’origine des verrues s’est-il –chez moi en tout cas- mithridatisé contre l’action de la bave de limace à cause de mes onctions juvéniles ? étais-je autrefois sujet à l’effet placébo et ne le suis-je plus aujourd’hui ? Je serais tenté par la dernière explication, mais elle ouvre en moi des abîmes de réflexion : Je veux absolument croire que ça peut marcher, mais mon corps adulte refuse de m’écouter. Je me dis aussi qu’il préfère supporter une verrue qui, après tout, est une de ses fantaisies et dont il est peut-être fier. Ou bien, par quelque intelligence maléfique, Sophie a compris ce que je voulais d’elle et a retenu l’épanchement de ses glandes bienfaitrices. Mais aussi Edmonde, Renée, Jessica ? Ce serait un complot ? Vite, retrouver les bienveillantes limaces d’antan, et les prier à genoux de ne pas en vouloir à l’enfant que j’étais du mauvais traitement qu’il leur a fait subir alors. En tout cas, je suis encore surpris d’avoir réussi à écrire un billet aussi long à partir d’une anecdote aussi légère.

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