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  • L'affect du livre à Saint-Etienne - 1

    J'étais encore dans le souvenir si bon de la rencontre de la veille, avec Laurent Cachard, à la librairie Le Tramway, à qui je réitère mes remerciements ici. Départ pour la suite de mes pérégrinations, à la Fête du livre de Saint-Etienne. Train plutôt calme, lecture des premiers chapitres d'un manuscrit du même Laurent, rassuré par le plaisir que j'y prends. J'ai en main le portable que ma douce m'a confié en pleurant comme si j'allais me sacrifier dans quelque tranchée. Tentative d'envoyer un SMS pour dire à l'auteur que tout se passe bien, je réussis à taper « chapitre » je réussis à basculer en mode chiffre et exécute magistralement un « 3 » pour préciser où j'en suis. Impossible de revenir en mode lettres pour expliquer que, jusque là, tout va bien, obligé d'éteindre ce foutu machin, de rallumer, etc. Enfin, je parviens à écrire « c'est que du bon » encore que, sans apostrophe. Bref.

    D'autres auteurs comme moi sont pris en charge à la gare où nous arrivons, tous jeunes, minces et beaux. Pas commencer à faire des complexes. La ville brûle sous un été impossible, la rencontre de la veille, le manuscrit, tout ça, je vais bien, je souris. Je remonte une bretelle qui glisse. Après les petits calages administratifs faits à l'accueil VIP, à l'hôtel de ville (oui, je suis à présent un VIP, le badge en témoigne), j'entraîne ma grosse valise à l'hôtel, quelques rues plus loin. L'entrée est vide, c'est que la réception est perchée trois étages plus haut. Situation inédite que je n'ai pas anticipée et qui m'a donc valu de négliger l'ascenseur pour grimper jusque là. Je transpire, pas le temps de me changer, de prendre une douche, je vais puer, tant pis. L'hôtel est étrange, on sent une trop longue pratique, une routine épuisée. J'avise un ordinateur qui me permettra de répondre à mes mails, ce soir, j'apprends « hélas monsieur » qu'il ne fonctionne pas.
    Le premier rendez-vous est un repas organisé au lycée dit du Portail Rouge, que je connais bien : c'était l'internat d'une des périodes assez absurdes de ma vie. J'y ai participé aux plus somptueuses batailles de polochon dont un surveillant puisse avoir le douloureux souvenir. Je dois intervenir dans un collège privé et les deux personnes qui m'accueillent avec de larges sourires, sont la documentaliste d'origine roannaise et la professeure de Français et de Latin (« ah bon, il y a encore des élèves qui veulent apprendre le Latin ? » « De plus en plus » me révèle Emilie, la professeure. Ce qui m'inquiète un peu, au fond). Nous nous installons à une table où nos noms sont déjà inscrits. Un chevalet annonce que François Bégaudeau est attendu face à moi. Tandis que nous devisons tous trois puis que commencent les discours, une dame aux cheveux blancs vient s'asseoir là. Je renonce à serrer la main de la dame en m'exclamant « salut François » et finis mon assiette de légumes. Le célèbre auteur de l'oubliable Entre les murs n'apparaîtra pas.
    Déplacement automobile jusqu'au collège, une salle avec grande figure de la vierge ; nous y sommes ; les enfants arrivent. Ce sont les 4ème, les classes fushia, beige et vert, redécoupées en deux groupes pour l'occasion. « L'Affaire des Vivants » aux mains d'élèves de 4e, d'un collège privé qui plus est ? Oui, le choix s'est fait au cours d'une réunion, il fallait faire vite. Mes hôtesses sont un peu désolées. Je suppose qu'après lecture, les yeux écarquillés d'effroi, elles ont tenté de limiter les dégâts. Les enfants sont sages, ils lèvent le doigt pour énoncer les questions écrites sur des feuilles qu'ils tiennent fébrilement. Une question, je commence à répondre, une forêt de doigts se lève aussitôt. J'explique que je suis du genre à développer mes réponses et qu'il leur faudra subir ma logorrhée jusqu'à la lie avant d'envisager de poursuivre la liste sur laquelle leurs regards sont arrimés. Je les comprends : s'ils lèvent les yeux, ils ont le choix entre un barbu à bretelles et une grande vierge en faux vitrail.
    Deux séances d'une heure se succèdent ainsi, avec les mêmes questions (les mêmes réponses ou pas loin), les mêmes enfants sages, très sages, pas du genre à provoquer une monumentale bataille de polochons comme leur aïeul, enfin je ne sais pas. Les enfants demandent : « Etiez-vous un bon élève ? », je réponds immédiatement « Une autre question ? », ce qui les laisse de marbre. Je remonte une bretelle qui glisse.
    La documentaliste me dépose vers le centre. Je trouve facilement mon stand où les libraires de Lune et l'autre m'attendent, avec la suite de mes aventures.