Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • L'affect du livre à Saint-Etienne - 3

    Après l'épouvantable nuit, un petit déjeuner consommé entre deux vertiges mous, je suis à l'heure sur le stand, en me promettant une sieste en début d'après-midi. La foule, dès 10 heures. Parmi les badauds, un grand balaise qui semblait dépourvu de but, m'interpelle, s'approche, tout sourire, crâne dégarni auréolé d'une masse de cheveux blancs. Il se dit sociologue, m'accapare en gesticulant, langage soigné, phrasé rapide et brillant, nous discutons, il me fait rire, je le fais rire, le courant passe bien. Il ouvre brusquement un cahier, geste qu'il me dit avoir répété des dizaines de fois depuis qu'il travaille sur « L'Homme Nouveau ». Ah bon. Depuis des années, il demande ainsi aux personnes de son choix de lui écrire, là, rapidement, leur conception de l'Homme nouveau, est-ce que je veux bien, à mon tour, lui rendre ce service ? La foule passe sans me prêter attention, le bonhomme est convaincant, délirant, chaleureux, le défi est amusant et puis surtout, je ne sais pas dire non. J'accepte. Je m'acquitte ma foi assez honorablement de ma tâche (le « sociologue » me le dira, le lendemain, après lecture) en une petite demi-heure, interrompu plusieurs fois par des personnes qui, sans doute parce qu'elles me voyaient occupées, s'étaient soudain décidées à sortir des rangs indifférenciés de la foule pour acheter un livre.
    Beaucoup d'amis ou de connaissances, beaucoup de Roannais (dans des proportions moindres que celles des dessinateurs de BD, mais enfin beaucoup) viennent me saluer. Mes voisins arrivent. Claudie submergée de signatures, Serge nettement moins. Il s'emmerde. Je crois qu'au bout du compte, il a « fait » moins que moi (pardon pour cette vilaine expression). C'est surprenant. Les passants ne s'arrêtent guère. Chaque auteur a expérimenté cette sensation d'être une vache dans un comice ou au salon de l'agriculture. Je parfais mon imitation en mâchant un cheming-gum et en posant un regard vide sur l'allée, devant moi. La température monte. Je regarde l'heure, il faut que je me rende dans une salle de l'Hôtel de Ville pour ma rencontre avec Alexis Jenni.
    J'arrive. Personne. Les deux bibliothécaires que je connais grâce à Lettres-Frontière sont là, tout penauds. En fait, Jenni ne viendra pas. On ne l'aurait, paraît-il, pas prévenu et il refuse une rencontre dans ces conditions. Si, comme moi, il a découvert cette invitation sur sa feuille de route, une semaine avant de venir, je veux bien le comprendre. Pour moi, être en présence d'un Goncourt, et pas n'importe lequel, avait annihilé une possible protestation ; pour Jenni, je suppose que se voir mis d'office en présence d'un auteur inconnu, a dû lui sembler proprement scandaleux et vexatoire. Bon. Il n'y a décidément personne, sauf ma prof de latin du collège privé qui a pris la peine de venir. Désolée pour moi (oui, non, ce n'est rien, pas grave, bouhouuu), elle passera en famille sur le stand, plus tard. Les bibliothécaires et moi décidons d'aller noyer notre déception dans un jus d'orange, quelque part. En fait, nous ferons l'intervention entre nous, et ce sera très bien. Tant pis pour Alexis Jenni à qui je me promettais de lui dire toute mon admiration, en prime.
    L'après-midi, les mots de soutien de mes libraires ont largement de quoi me remonter le moral que, d'ailleurs, je garde excellent. Ils ont vraiment aimé « L'Affaire des Vivants », mais vraiment ! ils me le disent et me le répètent, détaillent ce qui leur a plu, s'excusent presque de me fatiguer avec leur éloge (je les rassure), sans que j'aie besoin de les menacer. Les libraires, comme d'autres avant eux, comparent « L'Affaire... » à un livre que je ne connais pas, mais la parenté semble évidente pour les lecteurs des deux romans. Il s'agit de « L'Inauguration des Ruines » de Jean-Noël Blanc.
    Un monsieur grisonnant, moustache sympathique, vient me saluer, il désigne les piles devant moi « Votre livre m'attend à la librairie. On me dit qu'il faut absolument que je le lise. » Il se présente : Jean-Noël blanc. Nous nous serrons chaleureusement la main. On m'a tellement parlé de lui et de son roman. Je lui dis qu'on m'a conseillé de le lire, pareillement. Une des nombreuses lectures que je dois faire le plus tôt possible. Et j'ai de plus en plus hâte depuis que j'ai rencontré cet agréable gentleman habitant Saint-Etienne.
    Il est important pour une manifestation de ce type d'inviter des célébrités, garantes de l'affluence du public. On ne parle plus de littérature, évidemment : les gens viennent évaluer la distance qui sépare la représentation télévisuelle (puisqu'il s'agit principalement de ce medium) et la réalité de l'objet télévisé.  L'énergie déployée pour capter ces stars doit l'être efficacement vu le nombre présent. On marche dessus, on les bouscule, on les salue distraitement, on les évite. Pardon Audrey (Pulvar), pousse-toi Francis (Lalanne), tu veux un café Laurent (Joffrin) ? Et puis il y a Romain Bouteille et lui, on n'ose pas l'aborder, parce qu'on se sent tout petit à côté.
    Le soir tombe, guère moins chaud que la journée, à peine un répit. Il y a un apéritif et puis, le dîner de gala dans de beaux salons anciens, non loin de l'Hôtel de Ville, et la soirée VIP s'achève avec un bal masqué. Evidemment, je fais la totale, je goûte tous les vins, je me baffre, je chante avec l'orchestre vénitien, je fais valser Audrey Pulvar et, pendant le bal masqué, je me jette dans la fontaine de chocolat avec Ismaïl et des femmes nues nous rejoignent en riant.