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    Quand le diable sortit de la salle de bain

    Sophie Divry
    chez Notablia

    divry_quand-le-diable-sortit-de-la-salle-de-bain.jpgSophie Divry est une auteure qui pense à ses lecteurs. Elle se confronte à l'écrit, s'adonne en virtuose aux exercices de style mais elle ne le fait pas dans le vain espoir de paraître intelligente (elle l'est, très) ou cultivée (idem) ou pertinente (itou), elle festoie avec l'écrit en songeant à la jubilation de son lecteur. Elle lui veut du bien. Et le lecteur, reconnaissant, attend le prochain livre. A première vue, le projet de Quand le diable sortit de la salle de bain paraîtra d'une moindre portée que son précédent, La Condition pavillonnaire, ambitieux portrait de femme médiocre, sorte de somme sur la beauté des trajectoires quelconques. Pour Le Diable... l'auteure pêche par humilité en revendiquant cette modestie. Dès la page de garde, on lit sous le titre : « Roman intempestif, interruptif et pas sérieux ». Il est tout cela, mais « pas sérieux » ne signifie pas sans gravité. Le lecteur de méchante humeur (ça, c'est moi, ça) se dit, le temps de quelques pages, qu'il va parcourir ça en diagonale, les petites fantaisies pour se reposer d'un ouvrage trop sérieux, on sait ce que c’est, oui, bon, allons allons, et puis... Il réalise qu'il a entre les mains un sacré portrait de société. Quelque chose d'une extrême élégance, parce que profond sans en avoir l'air.
    Jeune chômeuse vivant à la Croix-Rousse, la narratrice (qui se prénomme Sophie, et le nombre d'occasions de recouper l'histoire de l'héroïne avec celle de l'auteure, sont assez nombreuses pour interroger) connaît la précarité, la fin de mois qui commence le 20 et les calculs incessants pour faire rentrer les frais de nourriture entre les limites d'un budget minuscule, voire bientôt inexistant. C'est la galère, la galère, la galère, et ce ne sont pas les administrations vétilleuses, un bon copain érotomane et son diable personnel Lorchus qui vont la sortir de la panade. A tout le moins ces derniers profiteront-ils de la faiblesse de l'auteure pour s'introduire dans le récit (et aussi dans pas mal d'autres choses, mais passons). Tout cela est décrit avec beaucoup d'humour, mais vraiment beaucoup, pendant les trois-quart du livre en tout cas. Sophie Divry joue non seulement sur les mots, mais s'amuse avec la typographie, la tortille et l’arque-boute, l'arrondit et la disperse. A la faveur d'un conte pour enfants, les consonnes s'évadent dans la marge, une frénésie priapique prend sur deux pages la forme d'un pénis érigé, ailleurs une silhouette de femme, des dialogues allogènes s'immiscent entre les lignes d'une méditation, un tchat avec une plateforme porno est parasitée de poésie classique, etc. On soupçonne la gratuité, on sourit, on s'agace éventuellement, mais au bout du compte on voit énoncée une réalité de la faim, de la solitude, de l'angoisse modernes, et on remercie Divry de ne pas chercher la posture. Les mêmes affres donnent trop souvent chez d'autres écrivains les manifestes les plus éplorés ou les plus vindicatifs et même, hélas, une navrante poésie de la dèche, héritière des talentueuses vociférations de Jehan-Rictus, en guère plus sincères.
    La Sophie de Quand le Diable, pourrait être la fille de l'M.-A. de la Condition pavillonnaire. Elle se serait trompée de chemin, se serait fourvoyée dans un rêve d'écriture après son divorce et elle trouverait un peu de baume au cœur et de répit lors d'un séjour dans la maison familiale, près d'une mère solide, éternelle, avec qui elle aurait fait la paix.
    C'est un roman bancal, libre, « intempestif » donc, quasiment inabouti, à la lisière ; de la littérature pourtant, jouissive, un rire fêlé de demoiselle en détresse, trop bien élevée, qui n'ose pas crier Au secours.

     

    Une très chère amie, et excellente lectrice, m'a trouvé indulgent pour ce livre. Sa critique vaut bien la mienne, je vous la confie avec son accord, de façon à nourrir la réflexion (on se croirait chez Télérama) :

    "Sophie Divry : Quand le diable sortit de la salle de bain, Notablia, 2015

    L'auteur de La condition pavillonnaire a changé de style ! C'est comme si tout à coup elle lâchait la bride à une frénétique envie d'écrire. L'histoire pourrait être triste puisque la narratrice, sans emploi ni argent, se demande comment trouver de quoi manger. Mais si la narratrice a faim, l'auteur, elle, s'amuse beaucoup. J'ai voulu, écrit-elle, laisser libre cours à mon imagination, sans rien m'interdire. Les objets se sont mis à parler, le diable à apparaître, les listes à s'allonger dangereusement, la typographie à s'agiter...  Il en résulte un grand fourre-tout sans véritable unité, où les scènes porno succédant à des délires littéraires permettent de ne pas trop s'attrister sur le sort d'une jeune chômeuse qui tire le diable par la queue ! Vous l'avez compris, ce roman  présenté par son éditeur comme « interruptif, rigolo, digressif, foutraque » ne m'a pas captivée !"

    Fr.