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    Dernières paroles de Perceval
    Emmanuel Merle
    Éditions L'escampette / Poésie

    Couv_Dernieres-paroles-Perceval.jpgLe grand drame de Perceval, fameux chevalier de la Table ronde, hors de « savoir la sauvagerie de ce qui vit », est de n'avoir pas su parler, un jour crucial, lors d'une escale où l'a mené son périple. « Tout m'avait conduit là, au pied de la pierre, (…) pour que je demande l'hospitalité à cette porte d'oubli ». Tandis qu'autour de lui « Tout vibrait, tout brillait, flamme sans ailes / Quelque chose se produisait, lent défilé, offrande inconnue qui interrompait le temps / En moi ça demandait, mais je me taisais. / Je me taisais. »
    Car Perceval est muet, mutique en tout cas, il a préféré le bruit de l'épée, « ruine de phonolites », à la parole. Et l'infortuné qui lui demande de parler, « qui réclame que je dise » selon Perceval, « comprend que c'est sa mort qu'il appelle ». Celui qu'on nomme le « Chevalier d'Effroi », poursuit sa quête depuis trop longtemps ; il ne sait que se battre : « Je frappe comme pour trancher un tronc / d'arbre. Je n'avais pourtant qu'à parler. » S'il se tait, Perceval voit tout cependant et saisit, par ce tout, l'essentiel du monde, terre veuve ou terre foraine qu'il parcourt en armure, sur son cheval. Dans ces temps légendaires, il est dit que Perceval, « l'homme percé de cris », percevait. Depuis longtemps, il ressent plus qu'il n'exprime. Depuis qu'il sait son nom il se tait « Avant que je le découvre, qu'il sorte malgré moi de ma bouche, j'étais celui à qui tout s'adressait. » Désert pour le monde, il ne se départit pas de son silence. Il est celui qui, au seul spectacle de deux flocons qui se poursuivent, sent en lui une pierre se détacher.

    Pour porter vers nous ce récit, il faut que quelqu'un parle pourtant. Pour transmettre les dernières paroles de Perceval, il ne faut pas moins qu'un poète à la mesure de cette épopée du retour.
    Emmanuel Merle offre son Verbe au guerrier solitaire, dit pour lui et à la première personne, les paysages, « la débâcle d'une eau que le gravier et le bois mort encombrent », les chants, les souvenirs de sa « terre d'enfant disparu », et la mémoire des combats, quand « à l'instant de frapper / je me souviens qu'un voile (…) rouge, descendait sur mes yeux (…) gonflant ma poitrine, faisant de ma main une mâchoire. » Les mots, les sensations et les souvenirs se fondent en une errance mélancolique et tragique.
    Il a tant combattu, il a tant vu sans dire (« Qu'ai-je fait d'autre, qu'ai-je fait à l'autre, / si longtemps, que lui donner la mort ? ») « La mort chevauche à mes côtés, / sans cordes vocales, et souriante / d'un désir atroce. » Par les terres, dans l'entrelacs des collines enneigées et des eaux torrentueuses, au pied des gibets d'où s'échappent des vols noirs, le pas de son cheval le ramène au delà de « la barrière de [s]on père », celui qu'il n'a pas connu, désarmé et desquamé, laissé là. Il revient aux racines de sa légende et de celui qu'il fut. « Quand on est enfant, tous les mots ont des majuscules, toutes les choses sont des êtres, et de façon magique rien n'est oublié, puisque tout a lieu. »
    Autour du chevalier tout est mots, le froid, les flocons, la nuit, les rois, tout ne cesse de quémander la parole dont il est avare. Le constat est amer « Je reviens à moi mais la langue est perdue. »
    Perceval sait que ce sont ses dernières paroles, son testament : « Le temps je ne l'ai plus. Il y a un point rouge sur mon armure étincelante ».
    Le long poème d'Emmanuel Merle convoque la figure émouvante du chevalier qui n'osa pas parler quand c'était nécessaire et en conclut qu'il valait mieux désormais se taire. On peut le lire comme un récit, comme une errance déprimée au milieu de la neige et des morts, c'est un texte qui ne cesse de verser sa puissance, comme certaines sources abondent, intarissables.

    « Tout est séparé parce que je n'ai rien dit.

    Mais séparer et dire, c’est un semblable coup d'épée.
    Je croyais que l'accueil du monde
    se faisait sans les mots, à présent je sais
    que je me trompais.
    Dire, oui, c'est diviser, mais quelques paroles,
    ici, célèbrent encore la vie :
    les prononcer comme des prénoms. »

     

    Emmanuel Merle sera mon invité, avec Christian Degoutte, à Gilly-sur-Isère, le 3 juin, dans le cadre de la carte blanche annuelle que l'équipe de la Médiathèque m'a confiée.