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    Et bien, c'était prévisible, hélas. L'extrême-droite (non, je ne vous mettrai pas le lien), réquisitionne La vie volée de Martin Sourire pour faire de mon roman un porte-voix de la reconnaissance du génocide vendéen. Je me vois donc obligé de réagir et de dénoncer une manipulation de mon propos (ou une lecture orientée et fautive). « Il (l'auteur), dit ce site, nous livre le monologue de Martin, revenu de Vendée, racontant sans ambages ce que fut vraiment cette expédition punitive, que certains esprits chagrins refusent de reconnaître comme un génocide pur et simple." Sachez, chroniqueur partial, que je fais justement partie des "esprits chagrins" qui refusent qu'on colle aux Guerres de Vendée le terme de génocide.
    Je craignais que des lecteurs partisans s'emparent de cette partie du récit pour y puiser cette morale. C'est fait. Mon ambition a été, en écrivant ces lignes, de rappeler sans fard que nous (les républicains, les révolutionnaires dont je partage les idées), avions fauté, et qu'il était nécessaire de le reconnaître. Mais le monologue de Martin dit aussi les conditions et les ambiguïtés de ces événements. Il renvoie dos à dos les belligérants, fanatisme contre fanatisme.

    J'emmerde les tenants du génocide vendéen, je n'ai rien à voir avec De Villiers et ses tourbeuses épiphanies catholiques où chaque paysan est vu comme un saint martyr.
    Que ce soit clair : je conchie la malhonnêteté révisionniste autant que l'impudeur de taire ce qui nous dérange !

    Il ne s'agit pas de minimiser l'ampleur et l'ignominie des massacres, mais l'idéologie génocidaire est très spécifique et ne correspond pas, selon moi, aux principes qui ont prévalu à l'époque. Je n'ai rien contre l'emploi anachronique d'un terme imaginé pour évoquer ce qui paraissait inédit aux juges de la solution finale nazie, en l'appliquant à des phénomènes qui l'ont précédée, mais il me semble que l'idée de génocide est liée par essence à la notion de race. Il faut que l'un ou l'autre protagoniste, ou les deux, soient convaincus de l'existence d'une race distincte d'une autre. C'est cette race qui est l'enjeu du génocide. La République n'a jamais considéré que les Vendéens constituaient une race, ou même un type physique remarquable (on objectera que Barère a parlé de « race rebelle » dans une de ses carmagnoles, mais le mot race ne recouvre pas ici le sens que nous en avons, on parlait aussi bien de race française). Il y avait probablement des Vendéens travaillant à Paris (c'était le creuset où se précipitait tout le pays). Je ne sache pas qu'on a pratiqué des rafles dans la capitale pour en finir avec tous les représentants d'une hypothétique race vendéenne. Il s'est bien agi d'éliminer localement une population réfractaire, et seulement elle, au début. Rappelons que le 20 février 1794, les représentants Hentz, Garrau et Francastel donnent l'ordre aux habitants de la Vendée et aux réfugiés de quitter le territoire insurgé et s'en éloigner de plus de vingt lieues sous peine d'être considérés comme rebelles et traités comme tels. Difficile de concilier ces précautions avec une démarche génocidaire méthodique. Il s'est agi d'éliminer les rebelles pour les remplacer par une population patriote. Un rêve de pureté, bien dans l'esprit d'un Robespierre, dystopie suffisamment grave et terrible pour ne pas faire appel à un concept allogène. Crimes de guerre, massacres de masse, crimes contre l'humanité, bien sûr, et le procès doit être fait. Il fut fait par ses artisans, d'ailleurs, en son temps. Pour moi, les massacres de Vendée connaissent au moins un précédent dans l'Histoire qui permet de mieux les situer : ils sont à rapprocher de la façon dont les Romains ont décidé, au terme des guerres puniques, de se débarrasser définitivement de Carthage. Population éradiquée, bâtiments détruits, jusqu'aux champs couverts de sel pour prévenir toute renaissance. Peut-être que Robespierre et ses affidés avaient cela en tête. Au delà des monstruosités d'un Carrier, ou des ateliers de tannerie de peau humaine, la cruauté délirante des colonnes infernales, leur goût pour le pillage, ont inhibé voire disqualifié pour longtemps toute tentative de prise de recul dans la compréhension des crimes perpétrés. Et l'impact du mot génocide n'aide pas à débattre rationnellement du phénomène.
    Et qu'on s'en tienne, s'il vous plaît, à tout ce que raconte le livre et qui le met en perspective, le monologue vendéen est inscrit dans un récit plus large, et on serait bien inspiré de le rappeler. J'ai espéré, mais je me suis peut-être planté, par la description des agissements des Colonnes, élever le récit à l'échelle de l'exemplarité humaine, dépasser les impératifs historiques pour dire ma peur de toutes les solutions finales.

  • 3136

    Gustave Flaubert, à un éditeur qui voulait absolument illustrer Salammbô : "Vous voulez que le premier imbécile venu dessine ce que je me suis tué à ne pas montrer ?"