Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • 3269

    Il y a quelques années, une amie perdait son mari. Je le connaissais peu. Pourtant, elle voulut que j'écrive une sorte d'oraison funèbre et que je la lise à l'église. Pour elle, m'expliqua l'ami missionné pour me demander cette faveur, il s'agissait de s'assurer de la qualité de ce qui serait dit et fait pendant la cérémonie. Ce qu'il faut déduire de cette conviction est assez gênant, j'étais très mal à l'aise mais, par respect, et puis parce que ce que je connaissais du défunt me l'avait fait paraître comme une belle personne, j'acceptai. Je lus donc mon texte qui effleurait à peine le portrait du disparu (et pour cause), après les témoignages d'amis plus légitimes pour s'exprimer. Logiquement, je m'étais tenu à des considérations sur le désarroi de ceux qui restent, dédiées à la veuve, que je connaissais mieux. « Tout ce qui peut être dit, tout ce qui peut t'avoir été témoigné de sympathie et de chaleureux soutien, n'empêchera pas les heures muettes à venir, celles où tu te trouveras seule face au vertige du manque et de l'absence. (…) La disparition d'une personne aimée nous confronte à l'incompréhension de ce qui ne sera jamais plus et, pour toi A., pour vous, enfants, parents et amis de B., ainsi que pour tous ceux qui ont connu la sidération du deuil, chaque phrase de chaque journée commence par 'désormais'. » Voyez, des notions de ce calibre. Après l'enterrement, nous nous trouvons quelques uns dans le café du village. Face à moi, un ami du défunt. Furieux. Il me tance. Comment avais-je osé parler au nom des endeuillés légitimes, des vrais amis, de la famille ? Lui, avait veillé son ami, avait suivi son agonie, qui étais-je pour évoquer son chagrin ? Il avait raison, bien entendu. Je tentais de lui dire que je n'aurais jamais osé, de moi-même, prendre la parole pour évoquer le souvenir de B., que c'était une disposition de son épouse, persuadée de bien faire, je n'avais fait que m'exécuter, comment refuser une telle demande ? Mais je sentais que ma parole était embrouillée et peu convaincante car une voix honteuse, au fond de moi, avouait que j'avais été flatté par la requête de la veuve. Et lui, l'ami sincère, l'éploré, l'inconsolable, avait perçu la prétention sous le propos de circonstance.