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A propos des "derniers jours d'un condamné" de Hugo

 Il y a quelque temps, suite à une lecture de ce livre, un ami m'écrivis pour me demander de réagir sur cette notion passée inaperçue chez Hugo, de la douleur des victimes. Hugo plaint et fait plaindre le sort du condamné, mais quid de la personne qu'il a occis, quid de ses proches ?

"A propos de cette victimisation d’un meurtrier. Hugo, malin, a évidemment détourné la question dans le but surtout de tendre à l’universel. D’ailleurs, il s’explique : « Ce livre est adressé à quiconque juge. Et pour que le plaidoyer soit aussi vaste que la cause, il a dû, et c'est pour cela que Le Dernier Jour d'un Condamné est ainsi fait, élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, l'accident, le particulier, le spécial, le relatif, le modifiable, l'épisode, l'anecdote, l'événement, le nom propre, et se borner (si c'est là se borner) à plaider la cause d'un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un crime quelconque »

Ainsi, il s’épargne d’évoquer le sort de la ou des victimes, et de rendre antipathique son personnage principal. C’est facile. Pourtant, comme toi, j’y ai pensé. C’est bien triste, se dit-on, mais il n’en serait pas là, si…

Là, je me demande si l’anecdote de l’autre prisonnier, celui dont l’histoire rappelle celle de Jean Valjean, galérien récidiviste, n’est pas là pour donner un point de vue là-dessus. Les meurtriers (à moins qu’ils ne soient fous, ce qui est une autre affaire, tu seras d’accord), ne sont pas meurtriers par nature ou par goût, mais par la succession des circonstances, aggravés parfois (mais parfois) d’une absence d’exemple moral (mais qu’y peuvent-ils ?). Un vol mineur, une condamnation, de mauvaises fréquentations, un vol plus grave, la brutalité comme seule langage, la nécessité comme morale de l’existence, et voici notre meurtrier prêt à passer à l’acte. Le libre arbitre a de ces limitations dictées par l’exercice de la survie.

Alors, que doit-on punir, et comment ?

Chez Robert Badinter (d’après un texte de 1971 sur l’affaire Buffet et Bontems), s’il est acceptable que la famille d’une victime réclame vengeance, au nom de la souffrance des siens (et comment raisonner un père dont la fillette a été massacrée de la manière la plus sordide ?), la condamnation à mort, dans notre société, est décision de justice, elle est donc la réponse de la loi au crime. Nous sommes alors dans un registre différent de celui qui voudrait trouver une équivalence entre le crime et la punition, et dont la loi du talion fut le modèle. L’équivalence est impossible. La mise à mort, même de la plus cruelle manière, ne soulage personne, n’apporte aucune réponse. Hugo renchérit sur le propos de Badinter (par antériorité si je peux dire) en déniant le pouvoir d’exemplarité de la peine de mort (Badinter rappelle que parmi ceux qui hurlaient « à mort » au procès de je ne sais quel assassin, se trouvait Patrick Henri), et le prétexte de la sécurité de la société « Vous objectez qu'on peut s'échapper d'une prison ? faites mieux votre ronde », résume Victor.

Ce qui subsiste enfin, si l’on a écarté le spectre des souffrances des victimes, si l’on dénie tous les bons arguments qui réclament un bon sang rouge, c’est la barbarie. La société accepterait de vouloir la mort de quelqu’un ? Elle endosserait le rôle du tueur, elle accepterait de perpétrer l’horreur qu’elle condamne ? Pour quel résultat : prolonger ou avérer un état de sauvagerie tellement répandu que ses avatars officialisés n’effraient plus ? On voit bien quel royaume de paix et de sérénité la peine de mort engendre dans les pays qui la pratiquent : Chine, Etats-Unis, Irak, Yémen…

Je dis cela, sachant que tu es convaincu qu’il fallait abolir la peine de mort, mais préoccupé de ne pas oublier l’horreur des souffrances des victimes.

Cette abolition pose des problèmes nouveaux. Je pense souvent au cas Guy Georges. Il y a quelque temps, à l’époque où j’avais une télévision, un document racontait l’histoire de ce meurtrier en série, et montrait le point de vue des parents des victimes. Des jeunes femmes, parfois à peine plus âgées que ma fille. Aujourd’hui, Guy Georges est en prison, oui, mais il est marié, peut avoir, pourquoi pas, des enfants. Tandis que les parents de ses victimes, parfois trop âgés, n’auront plus de descendance. Cette projection d’un bourreau dans son propre avenir, par progéniture interposée, alors que les familles qu’il a endeuillées n’ont plus d’avenir, est terrible, et nous met violemment face à nos capacités de pardon. Oui, on voudrait une vengeance, on voudrait qu’il payât. Mais surtout, qu’il ne s’en sorte pas mieux que ses victimes. Hugo n’avait pas prévu ce cas de figure. Quel récit aurait-il tiré de cette autre injustice ?"

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