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Livres

  • 3857

    index.jpegJ'écris ce billet sans avoir l'ouvrage sous la main, et je ne pourrai donc pas citer les nombreux passages que j'avais soulignés. Pourquoi ? Parce que, aussitôt refermé, je l'ai confié à un ami en lui promettant une belle séance de lecture. C'est que Les deux mariages de Lenka soulève l'enthousiasme et on n'a qu'une hâte : le faire partager illico.
    Isabelle Flaten, c'est La Bruyère projeté au XXIe siècle, gourmande des Caractères qui s'y promènent, spectatrice aguerrie des petits et grands travers humains, elle en tire de savoureuses observations, en variant les thèmes : l'amour, l'argent, la parole… Dans Se taire ou pas, paru chez son fidèle éditeur Le Réalgar, Isabelle Flaten explorait le thème de la parole retenue, empêchée, tue ou délivrée, jetée, arrachée, les raisons qu'on a de ne rien dire, celles qui font qu'on se croit tenu de se confier. Dans son dernier roman, avec son personnage de Lenka, l'auteure ne se contente pas de creuser plus loin cette interrogation, de plus en plus prégnante dans la dernière partie, elle en dissèque les atermoiements avec une qualité de chirurgienne grand style.
    Le cadre est idéal et choisi pour que l'effet soit maximum : Prague (que l'auteure connaît bien, elle y a vécu), au lendemain de la révolution de Velours. Parce qu'un tel bouleversement politique inverse les discours et rend la parole à ceux qui ont dû se taire longtemps, sous la coupe d'une dictature. Les deux mariages de Lenka peut d'abord évoquer une sorte de « Good Bye Lenine » inspiré, ravageur, cruel. Les 'valeurs' de l'occident capitaliste font irruption dans l'éternelle suspension communiste, viennent ringardiser le modèle soviétique, fragiliser les prudents, favoriser les coriaces et les audacieux et, plus surprenant, susciter les premières nostalgies. Les entrepreneurs étrangers débarquent, les rayons des magasins se remplissent. Le monde bascule, les maîtres d'hier font profil bas ou s'arrangent avec le nouveau système, les anciennes victimes remontent au jour, souvent dignes, indestructibles : l'Histoire leur a donné raison. Les turpitudes du passé ne sont pas exactement remisées : on les rumine en attendant de régler les comptes.
    Lenka, le personnage principal, n'est pas une héroïne, pas une résistante, c'est une femme bien ordinaire. Veuve d'un type dont on apprend les médiocrités et la noirceur de collabo et de délateur, la jeune femme est loin d'être un modèle. Elle a pu se faire illusion, croire que son défunt mari et elle avaient atténué, pour leurs « amis » et voisins, les rigueurs du régime. Les « amis » vont lui faire connaître l'envers du tableau, démolir le vernis, mettre à nu et à cru les saloperies passées. Lenka sait bien, au fond, qu'ils ont raison, elle sait bien qu'elle a soutenu son mari, partagé ses idées, encouragé ses affreuses décisions. Lenka est contrainte de faire le bilan de ce qu'ont pu coûter, en souffrances pour les autres, son petit confort matériel et ses compromissions de sympathisante. Quand s'ouvre le roman, la Révolution est passée, et pour Lenka, c'est le désastre. Elle est seule. Ses voisins, qu'elle croyait ses amis, la méprisent, ses parents, qui avaient bien perçu la nature de leur gendre et le détestaient, respirent enfin, peuvent réaliser leurs rêves et leurs films, et sa fille lui en apprend de belles sur sa manière de survivre dans ce nouveau milieu. Lenka est tombée de haut. Bien obligée, elle est femme de ménage, se découvre manipulatrice et kleptomane. Pas reluisante, décidément, Lenka. Pourtant, dans ce tableau désespérant, une lueur se fait en la personne d'un homme, Paolo, rencontré en France (car on peut partir à l'étranger maintenant) et décidé à conquérir la Tchéquie, Prague pour commencer. Il est tellement beau, sensuel, délicat, prévenant, riche, que Lenka est tentée de s'interdire d'y croire et puis, décidément, non, c'est bien vrai, cet homme parfait l'aime, lui offre un travail, ainsi qu'à sa fille, et veut l'épouser. Le danger ne vient pas de lui, pas directement, mais de ce que Lenka a tu. La crapulerie de son premier mariage, cette atmosphère cafardeuse qu'elle respirait bien volontiers et avec laquelle elle avait fait alliance. Alors, se taire ou pas, révéler à son futur mari, qu'elle aime sincèrement, quelle minable elle a été ? La deuxième partie du livre met en scène avec une habileté diabolique ce débat intime. On tremble pour Lenka. Avec elle, on redoute l'irruption des vérités, on attend l'inévitable révélation avec fatalisme et peur. Aussi médiocre soit-elle, on côtoie Lenka au plus juste et on éprouve de la compassion pour elle. C'est une des réussites d'Isabelle Flaten : la pertinence de ses portraits, on retrouve là le regard affûté de ses ouvrages précédents, qu'ils soient romans ou collections de courts récits. La fin est un magnifique tableau en demi-teinte. J'ai lu par ailleurs une critique parler d'espoir au final. Entre nous, je n'y crois pas, et il me semble que l'auteure non plus. Isabelle Flaten connaît bien trop l'humanité pour se leurrer. La vie continue, simplement, et c'est au couple, à présent, d'éroder ses aspérités pour ne plus s'y écorcher, de supporter les compromis, comme toute une société coupable, qui ne fut pas faite que de héros, doit s'arranger avec son passé. On y parvient, c'est le pire, on vit très bien avec ses fautes. Qu'on les taise, ou pas.

    Les deux mariages de Lenka. Isabelle Flaten. 15 euros. A paraître fin août au Réalgar.

  • 3838

    Hier soir, une amie, lectrice par ailleurs de mes romans, me faisait un retour de sa découverte de "J'habitais Roanne", un texte hybride, entre érudition un peu obsessionnelle et autobiographie, publié en 2011. L'originalité de son retour est qu'il est un enregistrement vidéo. Elle lit les passages, commente, évoque... c'est troublant, agréable, intime et efficace (les passages défilent sous mes yeux, en même temps que la voix discourt, bel effet de présence et de plongée dans le texte). Le premier passage qui l'a bouleversée, parce qu'il lui a rappelé une expérience personnelle, est celui qui suit. L'écoutant, je me suis dit que je pouvais opportunément en faire l'objet de mon billet du jour. Alors voici :

    "Au collège, les garçons étaient grossiers, les filles inaccessibles. J'appris un nouveau vocabulaire et je découvris, au milieu de foules d'enfants qui dépassaient mes capacités de compréhension, l'amour, l'amitié, la lutte contre les plus forts pour l'honneur, et surtout le racisme. Une conception du monde tellement éloignée de celle qu'on m'avait enseignée que, la première fois que j'y fus confronté, je ne compris rien à sa manifestation et ne la reconnus donc pas. Il y avait dans ma classe une fille plus brune sans doute que les autres, dont le nom sonnait différemment aussi. Mon peu de fréquentation du genre humain ne m'avait pas averti que ces nuances avaient la moindre importance. Des garçons, à côté de moi, plus précoces, mieux renseignés par leurs parents, le savaient, eux. Dès le premier cours, ils commencèrent à lui donner de petits coups de stylo dans le dos, à l'agacer, caressant ses cheveux dans une parodie obscène de séduction, l'appelant avec une vulgarité inouïe. Elle ne se retournait qu'à demi, les suppliait, ce qui redoublait leur cruauté. Ahuri par une telle obstination dans la méchanceté gratuite, je leur demandai moi, d'arrêter. Plus étonnés que convaincus, ils obéirent. L'un d'eux (je me souviens de ton nom, toi, quel homme es-tu devenu ?), souligna son regret d'avoir à cesser de si bien s'amuser, par ces mots : « on va pas être gentils avec ces gens-là ». Ces gens-là. Ces gens-là ? Mais de quoi parlait-il ? Je ne comprenais pas le sens de cette formule. Qui étaient ces gens-là ? La fille me semblait surtout très jolie. Comment pouvait-on vouloir du mal à une jolie fille ; à une fille même seulement, cette humanité fascinante ? C'était hors de mes possibilités d'analyse."

  • 3832

    Ce samedi, 13 juin, j'ai le plaisir et le grand honneur d'être l'invité de la librairie "Un monde à soi", à Roanne, à l'occasion de la journée des libraires indépendants.

    J'y serai présent de 10h à 12h30 et de 14h à 18 h. Sous mon masque, je sourirai, et d'une main désinfectée et preste, j'aurai le plaisir de vous dédicacer mon dernier roman : "Noir Canicule", paru juste avant le confinement (quel timing !) chez Phébus.

    Merci à Valérie, à Alexandre et David, la belle équipe !

  • 3816

    En avant-première, un extrait du scénario de la BD "Cortés" pour Glénat. Dessin Cédric Fernandez, couleurs Franck Perrot. Histoire de montrer, en coulisses, comment c'est fait, un scénar de BD (en tout cas, comment je les écris, moi). Quand Cédric aura avancé sur la première planche, je reviendrai montrer les différentes étapes de réalisation, avec son accord. En attendant qu'on mette sur pied un site dédié. Les [] indique une vignette facultative (parce que le découpage est dense, ici).


    Planche 3

    Légende : San Juan de Baracoa, Cuba. 1517.

    Intérieur jour. Chambre de Leonor. Le soleil irradie un rideau de drap blanc, tendu devant une fenêtre. Quelques éléments précieux aux murs, tableau et tenture, des coffres sur le plancher, ouverts sur des robes pliées aux motifs complexes. Le reste est assez sobre.

    1- Leonor (belle femme de type indien : c'est une Taïno de Cuba) nue étendue sur un lit défait. Elle fait jouer entre ses doigts un collier superbe : « Hernan… tu es complètement fou. » Un homme est assis près d'elle, il se rhabille. Il est à contre-jour sur l'écran de la fenêtre. C'est Cortés (il a 32 ans) : « Ne l'ébruite pas. On me croit le plus sage des hommes. »

    2- Leonor : « Je suis sûre que tu offres les mêmes bijoux à ta femme. Exactement les mêmes. »
    Cortés : « Tu es jalouse ? »
    Leonor, moqueuse : « Non, je m'interroge sur ton sens moral. »

    3- Cortés : « Catalina me fatigue en ce moment. Elle veut me retenir. »
    Leonor : « Si je t'aimais vraiment, moi aussi, je t'empêcherais de partir. »

    [4- Cortés : « Heureusement que tu ne m'aimes pas vraiment. »
    Leonor : « Heureusement. Je serais folle d'inquiétude. »]

    5- Cortés : « Léonor… Je n'ai pas le choix. La proposition de Diego Velasquez ne se refuse pas. Une expédition à la gloire de la Couronne... »

    6- Léonor : « Allons ! Je te connais. Tu ne peux pas résister à l'appel de l'aventure. Sinon, tu serais resté en Espagne. Un courtisan en vue, un ministre du roi, qui sait ? Rusé comme tu es. Avec le sens moral qui est le tien... »
    Cortés : « Mon sens moral te préoccupe beaucoup, décidément... »

    7- Leonor : « … Mais son absence, chez toi, me rassure, hi hi. Allons, je sais bien que ton encomienda de San Juan n'est pas assez grande pour toi, ni La Havane, ni Cuba, ni l'Espagne. »

    8- Cortés se regarde dans un miroir : « Je ferai mieux que Grijalva ou Cordoba. Je prendrai langue avec les autochtones, je marchanderai, je bâtirai un pays nouveau, avec eux. Je serai riche, affranchi de tous les gouverneurs et empereurs. Et alors, tu me rejoindras, avec notre fille. » Leonor : « … Et ta femme ? Aha, ton sens moral, Hernando, ton sens moral ! »

  • 3812

    Un ami écrivain au superbe parcours me confie le constat qu'il fait de son impuissance littéraire. Sans effroi, sans tristesse, il voit simplement qu'il n'a plus rien à dire. Même, le refus de son éditrice sur son dernier manuscrit sonne pour lui comme une libération. Il ne se sent plus obligé de proposer des textes. Mon rôle serait de le contredire, de le pousser à écrire encore, il est impensable qu'un auteur comme lui 'sèche' soudain ou se complaise dans le mutisme. Mais je comprends si parfaitement son état d'esprit, que je me contente de compatir, de lui souhaiter ce si paisible silence, ce repos de l'âme que seules nos manies d'écrivant combattent et rejettent. Un écrivain refuse souvent d'admettre qu'il ferait mieux de se taire. Je rends hommage à ceux qui ont le courage et la modestie d'accepter ce verdict avant que ce soient les lecteurs qui le lui imposent.

     

    A qui le tour ?

  • 3805

    Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.

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  • 3803

    Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.

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  • 3802

    Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.

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  • 3801

    Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.

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  • 3800

    Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.

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  • 3799

    Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.

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  • 3781

    Bon, on fouille les livres illisibles (en tout cas, prudemment laissés de côté) de notre bibliothèque et on tombe sur des curiosités. Extraits : "Le fils de Flaminius, en plein orgueil de sa folle jeunesse, souffre de ne plus pouvoir dissimuler aux yeux des gracieuses clientes, les manifestations probantes du feu intérieur dont il arde. Bien involontairement, son originelle impétuosité l'emporte souvent sur la modestie de son maintien, et l'ordonnance perpendiculaire, des plis de sa longue tunique en est fâcheusement modifiée." Ma douce n'avait pas compris la périphrase.

    Et : "Maman !!!! Pitié !!! Je suis la proie des flammes !!! Hercule !!! Tirez de moi, la tunique du centaure Nessus... Et autres paroles sans suites, communes aux nocturnes divagations." J'adore le "communes".

    Tout est de ce tonneau. Il s'agit d'un "roman gai" (de la gaieté de l'époque) comme le stipule la couverture de la toute première édition, d'un auteur inconnu, caché sous le pseudonyme (?) de Charles Clavières. Internet est muet sur le personnage. Après une première publication aux éditions de La Tour, le texte a été repris chez Denoël, dont nous avons la 10e édition (c'est dire le succès du livre), de 1938. L'auteur fait mine de s'inspirer d'une légende bretonne, d'un saint ayant existé et de documents qui l'attestent, fournis par un soi-disant archiviste : Evariste Blanc-Minet. Je vous le dis tout de suite : on est loin de la légende Saint-Germain L'Hospitalier. Tout est bizarre et laborieux dans ce livre : le projet, l'écriture chantournée, les péripéties, les patronymes, la fin...

    En fait, c'est somptueusement mauvais. Tellement, qu'on ne sait plus, après quelques pages, s'il n'y a pas un peu de génie là-dedans. Le titre, caché sous une couverture de papier kraft, de l'époque sûrement, avait de quoi piquer ma curiosité : "Cucurbitin le miraculeux". Oui. Le titre donne une idée de tout le projet et le lecteur, s'y fiant, ne peut pas être déçu.

  • 3757

    Un rituel. C'est un rituel, et ça ne se discute pas. Ponctuellement, Kronix évoque la sortie des livres de Cachard, et Le Cheval de Troie analyse scrupuleusement les nouveaux romans de Chavassieux. Un pacte tacite, conclu à la naissance éditoriale des deux. Je dois admettre que Kronix est quelque peu débiteur, dans l'histoire. Les billets de Laurent étant nettement plus riches et fouillés que les pauvres recensions dont je suis capable. Je sais à peu père écrire, mais pas du tout communiquer les causes qui me font aimer un texte. Un véritable handicap, qui s'élève d'un cran quand il s'agit de parler de poésie. Le déséquilibre augmente encore avec cette analyse de "Noir Canicule" par Laurent Cachard, ici.

    C'est comme toujours fin, pertinent, amical (sans jamais être complaisant, l'honnêteté fait aussi partie du pacte). Bref, merci Laurent, et je n'en dis pas plus, parce que je suis un peu ému quand je le relis, à vrai dire (et me voici encore incapable de dire... enfin, voyez, on n'en sort pas).

     

     

     

  • 3756

    Une des toutes premières critiques à propos de "Noir Canicule" me fait vraiment chaud au cœur. Sur le blog de cannetille, la lectrice qui a parfaitement compris le sens et les thèmes du livre. J'en suis tout chamboulé.

    Elle écrit : "Cette canicule a au final des accents vaguement apocalyptiques, ressentis dans leur chair et dans leur âme par des personnages atteints dans leur intégrité et leurs fondamentaux. Elle est la représentation au sens propre de leur surchauffe personnelle, dans un monde qui doute et se sent à la dérive, vers un inconnu inquiétant et dangereux. 
    Etrange et dérangeant, voici un livre dont on sort pas indemne et qui laisse des questions plein la tête, tant cette histoire reflète le mal-être d'une société de plus en plus sujette à la peur, rationnelle ou non, de ne pas maîtriser son avenir."

    En plus, elle ne divulgâche pas. Merci, chère lectrice inconnue.

  • 3754

    Marin-blond.jpegDans L'histoire du marin blond, on retrouve l'élégance et la clarté, deux des qualités d'écriture de son auteur, Jean-Pierre Poccioni, déjà salué sur Kronix (ici et ), car c’est un écrivain qui mériterait une plus large reconnaissance. Point d'odyssée maritime ici, malgré le titre, mais une brève traversée en solitaire de la vie. Le narrateur est en errance, chômeur, tout à la fois marié et dérivant, assez égaré pour supporter et rechercher la compagnie d'un protagoniste nocif, vite détesté par le lecteur. Un homme arrimé au bar d'un hôtel, venu échouer là lors d'une lointaine escale, un type suffisant, pontifiant, pérorant, ratiocinant, raisonneur et cuistre (une synthèse, aurait dit Audiard, qu'on cite toujours quand on veut faire court et explicite). C'est une première énigme, cette fascination du « héros » pour son tourmenteur, car il le tourmente, avant que d'autres énigmes s'immiscent dans le récit. En attendant qu'il réalise combien cette relation est « inutile et nuisible » et qu'il se demande « comment rompre le sortilège », le narrateur s'adonne avec une étrange bénévolence au rituel malsain du dialogue avec l'homme du bar et il l'écoute. Au point de suivre ses conseils : aller se mettre au vert, par exemple, dans une petite maison de campagne familiale.
    Un hasard, puis un autre, une jeune femme, une auberge, la pluie, un attentat, et l'ombre constante de l'homme du bar avec son récit croisé du marin blond, ses possibles manipulations, tracent une trajectoire du verbe, en fin de compte, où les rapports humains sont autant d'occasions de mener des réflexions qui les explorent et les dissèquent. Le lecteur rêvera d'une franche et solide mise au point du narrateur, soupçonné à tort d'adultère, avec sa femme, il ne l'aura pas mais sera récompensé de sa frustration par la délicate dérive des pensées du narrateur, une aristocratie d'homme de la Renaissance, à la fois humaniste et lucide. On fera peut-être la moue devant certaines assertions assénées comme des vérités indépassables : « [les échecs], ce roi des jeux dont personne ne peut avoir l'audace de contester qu'il garantit la hauteur intellectuelle de tout individu y rencontrant quelque succès » (Le Joueur d'échecs de Zweig semble avoir l'audace de démontrer le contraire) ; « la clameur constante du rock, guitares et batteries, finit par s'abolir dans un cannibalisme absurde » (c'est aller un peu vite en besogne pour un univers qui a un demi-siècle d'histoire). Qu'on ne s'attache pas à cette menue réserve : les nombreux moments de vraie littérature, la subtilité des images, le goût de la beauté de la phrase (avec une épure de la ponctuation), additionnent les motifs de se passionner pour ce texte.
    La question qui vaut, finalement, n'est pas « qui est le marin blond ? » mais plutôt « qu'est-ce qu'un marin blond ? » L'auteur constate que, sans doute, au gré de nos existences, au fil des escales et des départs, « nous sommes tous des marins blonds », et il faudra méditer un temps pour s'approprier cette fausse évidence. Parce qu'il n'existe pas de maîtrise du cours de nos amours.

    L'histoire du marin blond. Jean-Pierre Poccioni. Z4 éditions. 177 pages. 16 euros.

  • 3748

    "Désirée qui avait, elle aussi, mangé sa soupe, sérieusement, sans ouvrir les lèvres..."

    Emile Zola, La faute de l'abbé Mouret, cité par J-Cl Carrière et Guy Bechtel, dans Dictionnaire de la bêtise (Robert Laffont Bouquins, 1998).

  • 3742

    Voilà. Disons, début mars ?

     

    Chavassieux_Noir_canicule.jpg"Nous sommes en 2003. Lily est taxi. Elle accompagne un couple de vieux agriculteurs sur la route de Cannes, en pleine fournaise. Et si la canicule se prolongeait indéfiniment ?

    Sur l’autoroute, les bolides klaxonnent de loin, fusillent le rétroviseur d’appels de phare et passent en trombe.

    À mesure que la température monte, les personnages se dévoilent, entre amour et violence. Lily songe à sa plus grande fille, Jessica, que l’adolescence expose aux premières déconvenues sentimentales. À son ex-mari, qui l’a quittée pour une femme plus jeune. À leurs anciens jeux érotiques...

    Il y a quelque chose de pourri dans l’atmosphère. La vie semble se résumer à une peur de souffrir.

    Et le lecteur est loin d’imaginer ce qui l’attend…"

     

    (C'est la quatrième de couverture. Elle donne bien le ton, je trouve)

  • 3740

    couvHB.pngEst-ce qu'une forme littéraire, longuement élaborée au fil des ans, très aboutie, ne fait pas prendre à son auteur le risque de se trouver démuni face à certains enjeux ? Je m'explique : j'ai souvent dit ici mon admiration pour le travail d'Hervé Bougel, en tant qu'éditeur bien sûr (les éditions Pré#Carré, c'est lui), mais aussi en tant que poète (« Travails » ; « Les pommarins ») et auteur de textes en prose (« Tombeau pour Luis Ocana », par exemple). L'obsession de l'auteur, si l'on veut, est l'économie, et cette économie de moyens et de mots (« quand on veut dire quelque chose d'essentiel dans la vie, ça tient en peu de mots : Ta gueule, Je t'aime, etc. » dit souvent Hervé Bougel) conduit à une sorte de netteté, presque de sécheresse (non pas de stérilité, entendons-nous bien). L'ambition de son dernier ouvrage « Une inquiétude », parue aux éditions Mazette, l'oblige à définir les contours de ce sentiment aussi incertain et diffus par les moyens d'une écriture qui a eu pour exigence principale de se débarrasser des scories et des séductions, de tout lyrisme, pour mieux dire les choses avec simplicité et... netteté. La lecture de « Une inquiétude » me fait me poser la question qui ouvre ce billet, aussi naïve soit-elle (car pourquoi une écriture serrée et aiguisée serait-elle contraire, a priori, à l'exploration de sentiments confus ?). C’est pourtant cet écart (ce hiatus ?) que j'ai ressenti. C'est un beau texte, mais dont la rigueur m'a tenu à distance de ses enjeux.
    Bougel place d'emblée dans la bouche de sa comédienne (car c’est un texte qui devra être porté sur scène, et c'est un élément important sur lequel je reviendrai), un constat : l'inquiétude est une angoisse commune, « simple, ordinaire, banale » ; « pas un drame, pas un malheur ». Comment la définir, « cette chose silencieuse et cachée » dont on ne connaît ni la force, ni la forme ? Comment « nommer cette chose par ce qu'elle n'est pas » ? Il ne s'agit donc pas de saisir « une » inquiétude particulière, mais son principe-même. Alors, on multiplie les synonymes, les équivalences : « malaise », « renoncement », « trouble », « mouvement », « angoisse », pour tenter de cerner le phénomène. On échoue. Le monologue explore dans une deuxième partie la solution provisoire qui s'impose : l'attente. Puisque définir est impossible, puisque saisir est difficile, reste à patienter « sans espoir, sans sommeil ». Une attente qui frôle l'apparence de la mort. « Je suis un caillou » dit-elle. Le troisième monologue approfondit cette idée d'une attente aux parages de la mort, où le corps accepte de devenir tertre et tombe « mains croisées sur mon ventre », livré à la dévoration des petits insectes. Elle s'interroge, avec l'auteur : « peut-être un mot m'a-t-il manqué ? » Question cruciale.
    Le dernier monologue fait surgir les sensations physiques, « j'entends tout battre en moi », le corps retrouve le froid, et la langue de Bougel, l'efficience de sa clarté. Ce quatrième monologue (le texte est sous-titré « Quatuor ») se clôt sur l'évidence de la présence, l'indiscutable existence physique qui permet ou impose de se penser « c'est moi, / c’est là que je suis / là que je vis (…) là où j'ai la patience d'être moi. » Ce n'est peut-être pas un mot qui lui manquait, mais la reconnaissance de sa simple présence au monde.
    Alors, ce qu'est l'inquiétude, selon Bougel ? Le laps compris entre l'angoisse de la perdition, et les retrouvailles avec sa densité de chair. C'est en tout cas ainsi que je l'ai compris(e).
    Une dimension essentielle doit être rappelée, et mérite un prolongement de cette brève évocation : le texte est écrit pour être porté par une comédienne, et accompagné au violoncelle. On peut donc estimer que l'expérience de la seule lecture papier ne lui rend pas justice. Car c'est ici que la « netteté », l'apparente froideur de certains passages, deviennent un atout : il y a dans ces lignes toute la place voulue pour qu'une comédienne les incarne. Ces mots, ces vers dépouillés, si sobres qu'ils semblent simplistes : « mon cœur serré / est en peine / en tristesse » prendront alors une puissance qu'une lecture silencieuse ne permet pas de percevoir. Je veux dire que Hervé Bougel a produit un véritable texte de théâtre et, qu'à ce titre, aborder « Une inquiétude » sous sa forme publiée, si c'est nécessaire, ne constitue qu'une approche de l’œuvre telle qu'elle devrait être vécue. C’est peut-être là que se situe, à la réflexion, l'écart que j'évoquais plus haut. Non pas un écartèlement entre forme littéraire et motif, mais une déperdition de sens et d'intention entre la dureté de vers égrenés sur papier, et leur profération sur scène.
    On a donc hâte d'en juger lors d'une mise en scène, soutenue par une bonne comédienne.

    « Une inquiétude (le quatuor) » Hervé Bougel. Editions Mazette. 50 pages. 10 euros.

     

  • 3734

    « J'ai fait venir une clim' pour mon bureau, dit-elle en se forçant à rire. Sauf que j'ai passé toute ma journée en rendez-vous extérieurs et je me sens crade. Gluante. En plus, ça encombre. Maintenant, si je mets l'appareil en route, je vais prendre froid. — C'est absurde, dit Nicolas après un temps. Tout ce qu'on fait est absurde. — Je ne crois pas. — Non, bien sûr, parce que tu fais des choses importantes. » Elle émit un gloussement. « Ça va, me cherche pas. Fait trop chaud. — Un boulot qui mérite qu'on travaille au frais. — Si tu veux. — On a vraiment eu peur pour Pierre. Maman était... — Tu as assuré. Merci. » Elle avait perçu le reproche sous la phrase, il le savait. Il lui était reconnaissant de ne pas s'être offusquée, de ne pas avoir bondi sur cette pique. Il avait été injuste. « Une épreuve, souffla Nicolas. J'ai trouvé ce que c’est, cette canicule. Une ordalie. — Une ordalie ? — Une brûlure qu'on s'infligeait pour prouver sa bonne foi. Si la brûlure guérissait dans un court délai, c'est que Dieu attestait de ton innocence. — C'est débile. — C'était la vérité d'une époque. Elle était indiscutable. Nos morts sont indiscutables. La canicule est indiscutable. Le fait que nous y soyons tous pour quelque chose est indiscutable. — Tu plaisantes ? C'est discutable. Tu vas pas me ressortir tes histoires de réchauffement climatique ? — Non, rassure-toi. C'est ma vérité, ce n'est que ma vérité indiscutable. — Indiscutable. — Comme les appareils qui rafraîchissent et contribuent au réchauffement, comme tous ces objets… » Il se tut. Livia marmonnait un air à la mode. Elle lui laissait la parole ; cela lui arrivait parfois. Elle avait envie de quelqu'un en veine de bavardage, ce soir. Nicolas tombait pile. « Tu te rends compte qu'ils ont tous un nom ?, reprit-il vivement, comme inspiré. Tout porte un nom, c'est effrayant. Les objets que l'on nomme. Cette manie de définir la moindre chose. » La frappe sur le clavier avait repris, elle n'était déjà plus là. « Rien n'échappe à notre frénésie de taxonomie. On définit tout, jusqu'au cloaque du moindre insecte, la substance du moindre microbe, jusqu'au fragment le plus infime du temps. C'est une façon d'assécher le monde. Et on n'a qu'un nom pour la canicule. Alors que ceux qui ont succombé à l'ordalie... — Dis-donc, ça cognait à Roanne... — La confusion de cadavres comme disait Flaubert, tous ces anonymes. Et tous ceux des siècles à venir. La foule est innommable. — Dieu est innommable. » Il grogna. Elle aurait toujours le dernier mot.

     

    Noir canicule. Extrait. Sortie en mars, chez Phébus.

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    Il est très rare (circonstances plutôt qu'indifférence) que j'anime un rencontre autour d'un livre. Celui-ci est très particulier. Il s'agit d'une anthologie. Une savoureuse et riche recension des écrivains (morts ou vivants), qui ont écrit sur ma bonne ville, Roanne. Des surprises : Laurence Sterne, David Ponsonby (compositeur élève de Nadia Boulanger), de grands noms (Tournier, Sabatier, Saint-Exupéry, Barbara, Arsand, Ponge...), des oubliés (Montforez, Mercier...) et d'actuels, dont l'excellent Christian Degoutte que j'ai évoqué sur ce blog nombre de fois.

    Pierre-Julien Brunet a accompli un travail assez incroyable. Je lui ferai dire l'origine, les recherches, la réalisation, la récompense enfin, la publication de "Regards d'écrivains". Son complice Dom Thoral, sera là pour parler de son regard de photographe sur la ville. On va se régaler, je vous le dis. C'est ce soir, à 18 heures, au Jardin de Papier, rue Maréchal Foch, à Roanne, justement.

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