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(...) J'ai lu deux de tes bouquins.
- Ah bon ?
- Ben ouiii (elle prolonge ainsi les i comme s'élargit son sourire), je suis allée dans ma librairie préférée, quand j'ai parlé de toi, ils ont dit : Oui, une auteure intéressante, on la suit.
- Ça fait plaisir. Tu as lu quoi ?
- Parents thèse et Magma.
- Hou, tu as choisi les plus durs...
- Oui, c'est dur, Holà là. Bouleversant. C'est le genre de littérature que j'aime. Enfin, d'habitude, je ne lis pas : j'écoute des livres audio. Je peux peindre et avoir le plaisir de la lecture en même temps, c’est super. Les deux, je veux dire tes deux livres, là, sont très différents, y compris par le style. Parents thèse est… Houlà là. Je ne sais pas comment tu es parvenue à raconter ça. Parce que… tout est vrai, je suppose ?
- Oui. Aucune autobiographie ne peut tricher sur la représentation des proches. Tu ne peux pas faire de la fiction en imaginant le meurtre de ta mère par ton père.
- C'est dur. Découvrir sa maman... Holà là, quand j'ai lu ça… La scène me hante encore.
- Il y a quelques années, au salon du livre, on parlait d'un roman très fort sur le suicide d'un jeune garçon. Le fils d'un écrivain. J'assistais à la table ronde. Et, un moment, l'auteur lâche qu'en réalité son fils va très bien, que c’est juste une fiction. Ça m'a poignardée, cette révélation. Comment on peut se permettre d'imaginer un truc pareil ? Lui, ça l'amusait, il souriait, il était tout fier des réactions du public, tout content d'avoir pu tromper son monde, il devait se trouver beaucoup de talent, beaucoup d'adresse je suppose. Je me suis dit que c'était un vrai salaud, une ordure, ce type. Il me semble que l'autofiction atteint sa limite dans de tels cas. Je ne suis plus jamais arrivé à le lire. Non, moi, tout est vrai. En tout cas, tel que je le crois vrai.
- Et bien… C'est terrible, ce texte. Terrible. J'ai aimé aussi Magma, c'est autre chose, c'est politique, social, engagé. C'est très fort aussi. Je suis contente d'avoir découvert une écrivaine de ta trempe. C'est exactement ce que je cherche dans un livre, un truc qui te bouscule, et un style, aussi. C'est important. Une voix. La manière compte. » On vient prendre commande et notre conversation reprend, légère, pas amoindrie ou contrariée par notre échange sur le drame de mon enfance. Je suis soulagée que Corinne ait conservé la même attitude, après s'être vue confirmer que mon récit était authentique. Quand on me présente, il est toujours question de ce livre. On le considère comme le socle de tout mon travail, la pierre angulaire. On fait l'hypothèse (tacite) que je n'aurais pas écrit sans cela. Ce qui me pose problème. J'assume, mais j'aimerais qu'on me lise sans penser à ce coup de poing augural. Parents Thèse ne me résume pas. Il fallait que je l'écrive ; je ne me limite pas à ce choc initial et tout ne m'y ramène pas. J'assiste souvent au malaise des gens, face à moi, quand ils ont lu ce texte. Corinne est une artiste, elle sait que se livrer a pour effet de mettre à distance. Et l'enfant du livre qui découvre sa mère, baignant dans son sang, battue à mort, n'est déjà plus tout à fait moi, à cause de la précipitation des vérités dans le creuset littéraire. La littérature ne fait pas que nous sauver, elle nous transforme, nous mûrit et accouche de nous, autres et moins imparfaits.

Malvoisie. En cours d'écriture.

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