Cela faisait un moment que le ton montait entre cette femme et son mari, à la cafétéria de l’autoroute. Les reproches éclataient au dessus des groupes de japonais, se répercutaient aux oreilles des clubs de troisième âge et incidemment, échouaient sur notre table, malgré la distance. Le sujet de la dispute était le petit garçon coincé entre eux. Apparemment, il boudait la monstrueuse coupe de glace, plantée comme une torche réfrigérée devant lui. Les éclats devinrent des mots, des insultes, les insultes se métamorphosèrent en coups. La première gifle fut donnée par la mère au père. Quoique très sonore, elle n’engagea aucun de nous à réagir, parce que l’homme était d’une stature capable de l’amortir. L’homme se dressa, rassembla ses forces dans le silence soudain, et balança un coup de poing tellement puissant que son épouse fut comme projetée et comprimée au sol dans le même élan. Il fallait intervenir. Deux hommes approchèrent pour tenter de calmer le colosse, mais assez timidement, la voix blanche, les yeux cillant. L’enfant se tourna alors, il grogna quelque chose et lança sa glace vers eux. Désarçonnés, les deux hommes n’eurent que le temps d’ouvrir la bouche sur la même incompréhension qui nous tétanisait tous, quand la mère, relevée, donna un coup de pied dans le ventre du premier avant de se retourner pour gifler son fils qui hurla. Là-dessus, son mari saisit la tête du malheureux deuxième intervenant et la précipita sur la table qui fit un bruit de gong, puis, comme dans le même geste, il frappa sa femme qui valdingua deux mètres plus loin sous les applaudissements du gamin. Mais le père sembla ne pas comprendre les encouragements de sa progéniture et se retourna pour lui écrabouiller le visage d’un coup de poing. Autour, l’assemblée protestait, s’indignait, réclamait qu’on appelât la police. Surgie de nulle part, la mère bondit comme un tigre sur son mari. Les deux fauves roulèrent au sol dans un vacarme de bêtes en furie. Une femme tenta d’éloigner l’enfant couvert de sang. Celui-ci mordit sa kidnappeuse, ce qui attira l’attention du couple en lutte et lui offrit le prétexte d’une brusque complicité : ils fondirent ensemble sur l’infortunée tandis que l’enfant, sous le masque écarlate, explosait d’un rire mauvais en crachant de petites dents. Des chaises volèrent, des tables furent renversées. La dame se défendit bravement mais bientôt, dans un cri ignoble, l’homme et la femme réapparurent au milieu du chaos, un membre dans chaque main, avec lesquels ils entreprirent d’achever leur discussion. Le sang giclait en longues trainées sales autour de la scène. Les japonais s’écartèrent, satisfaits de leurs vidéos, un vieillard se réveilla. Le risque de se tacher devenant vraiment trop grand, je décidai mon petit groupe à s’éloigner aussi. Nous reprîmes la route, nous décrivant sans arrêt la scène pour comprendre précisément comment elle avait commencé et cherchant dans son déroulement quelque enseignement à en tirer. L’un de nous proposait d’y voir le résultat de la médiocrité du service dans ces cafétérias d’autoroute car, certainement, la glace du petit était dépourvue d’éclats de chocolat, ce qui lui avait causé cet entêtement bien compréhensible à ne pas la consommer, un autre s’interrogeait sur la valeur de bras et de jambes de femme comme matraques et émettait des doutes sur la véritable brutalité des coups que se portaient le couple, pour moi je tenais à démontrer la coupable mollesse des premiers hommes à être intervenus, qui n’avaient pas su trouver les arguments pour faire cesser ce combat par ailleurs très distrayant. Quoi qu’il en soit, l’incident fut vite oublié car notre chanson préférée « le chanteur de Mexico », se trouva opportunément programmée sur la radio que j’avais mise. Je consultai mon GPS et put annoncer, dans la bonne humeur générale, que nous serions à la plage dans moins d’une heure.