(d'après une réponse adressée à un ami, ce matin-même)
"J'ai lu le discours de Boulogne. J'ai lu aussi le discours d'investiture. Réaction.
Il faut d'abord que je sois convaincu de la sincérité de notre président. Je doute, mais je comprends l'option politique : il mise beaucoup sur une réaction de son électorat par rapport à ce qu'il pense être l'esprit soixante-huitard : un mépris des notions d'autorité et de patriotisme. Je dois dire que je suis très mal à l'aise avec l'autorité et avec le patriotisme, mais pas de la façon dont le conçoit sans doute Sarkozy, c'est à dire pas sans raison. Je ne suis mal à l'aise avec l'autorité que quand elle ne me semble pas légitime, je ne me méfie du patriotisme que quand il est sublimé dans un but douteux : partir en guerre, distinguer les héros des lâches...
Pour moi, ce doit être ça l'esprit de mai 68 : ne pas acquiescer aveuglément à une décision verticale. Douter. Ce qui est le fondement de l'humain à mon sens. Le discours d'investiture est traversé de clins d'oeil en direction de ceux qui ont besoin de certitudes. A l'entendre, la France est la terre des héros, elle a toujours résisté, elle a toujours combattu du bon côté, elle a toujours défendu les valeurs des droits de l'homme. C'est le type qui a fermé Sangatte, fait condamner les gens qui portaient secours aux immigrés démunis (de vrais résistants donc), qui s'est employé à diviser la nation, à dresser les intellectuels contre les manuels, à stigmatiser les banlieues en leur réservant un traitement "ethnique", qui fiche génériquement les gamins en révolte (les mêmes dont il s'applique à souligner le sacrifice à Boulogne); c'est ce type qui magnifie le rôle lumineux de mon pays ? Je ne lui reconnais pas ce droit. Sa vision volontairement aveugle et enamourée de la France séduit un peuple qui souhaite s'appuyer enfin sur des certitudes. Peut-être que les gens ont besoin de ça pour avancer aujourd'hui. Sarkozy les a compris.
Quant à moi, je n'ai pas besoin qu'on magnifie mon patriotisme pour être fier de mon pays quand, manifestement, il est digne de son passé ; je n'ai pas besoin qu'on m'assène la nécessité d'une autorité quand je constate que la justice est humaine, mesurée, bienveillante et égalitaire, quand la police protège les plus faibles et n'agit pas impunément. Je sais être fier de la France, de son histoire, là où elle s'est montrée noble et généreuse. Le problème est que cette noblesse et cette générosité n'ont été que rarement incarnées par les tenants des valeurs morales, du travail de la famille et de la patrie. L'histoire, lue objectivement, nous apprend plutôt l'inverse. Les forces du conservatisme font peu de cas du malheur des plus pauvres. Quand NS dit solidarité, j'entends charité, quand il dit respect, j'entends préservation de la propriété, sens de la hiérarchie, quand il chante la Marseillaise, j'entends maréchal nous voilà. Quand on chante la Marseillaise, avec les copains (celle de la commune par exemple, la marseillaise comme chant de révolte, interdite par les Thiers, Napoléon, etc.), j'entends le chant des partisans, les vrais, ceux qui ont été obligés de prendre les armes, parce que les mêmes conservateurs avaient un besoin désespéré de retour à l'autorité, de retour au sens de la famille (les femmes à la maison), de salut à un drapeau qu'ils ne voyaient qu'en bleu et blanc.
Voilà, cher ***, à gros traits, ce que je pense des récentes interventions de notre président. Je m'en veux, je t'assure, d'être aussi peu enthousiaste à l'écoute d'un discours qui, dit par un autre, me comblerait d'aise. Mais dans la bouche de certains, les mots prennent une saveur amère."