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En terre inconnue

On pleure beaucoup dans « rendez-vous en terre inconnue », dans le déchirement des départs bien sûr, mais aussi dans certains climax fort réussis il faut bien le dire, et qui emportent l’adhésion des spectateurs, entraînés dans le même élan de sincérité de stars médiatiques dont la vie, par essence, en est singulièrement dépourvue (de sincérité, suivez mes phrases, je vais pas tout vous expliquer deux fois).
Les crises de larmes sont en général soulignées d’un phrasé mélancolique interprété au piano, vestige de l’artifice sonore cinématographique, lui-même héritier de l’opéra et d’une tradition encore plus ancienne où la langueur aime l’écho harmonique de l’instrument, compagnon des larmes. La musique de l’émission étant donnée ici comme un des symptômes de l’artifice dont la réalisation est riche (l’équipe vidéo n’est jamais présentée, comme si nous assistions à l’irruption du seul invité et de Frédéric Lopez dans les contrées les plus lointaines, dont les images nous parviendraient magiquement, sans le viatique de la technique), mais dont nous sommes tellement coutumiers qu’aucun ne nous semble plus illégitime.
Dans un épisode récent, l’invitée (Mariane James) se retrouvait juchée sur trois bouts de bois en plein milieu d’un océan interminable, dans la fantaisie d’un paysage époustouflant. Elle fut submergée d’une émotion que, moi-même assez fleur bleue, je n’eus aucun mal à partager. « Que c’est beau » répétait la star, et nous savions que c’était vrai. Nous avons tous, devant notre poste, tenté de faire abstraction des vilaines pensées (oui, mais là, dans ce mouvement circulaire, la caméra et le perchman sont dans un bateau à moteur, vu la vitesse, et puis ce plan à présent : il faut un hélicoptère…) pour nous accorder avec son bouleversement intime et écouter au fond de nous, le remuement éprouvé devant-les-spectacles-de-la-nature-qui-nous-rappellent-notre-juste-place-dans-l'univers-zimboum. N'empêche, me disais-je entre deux serrements de gorge, l'efficacité de ce pathétique-là n'est pas loin de celle de la littérature, dont les artifices ne sont pas moins grands, les violons pas moins visibles parfois, l'effet sur le lecteur pas moins suspect de sincérité que celui de ces images de télévision sur le téléspectateur.

Commentaires

  • Personnellement je rapproche ça des spectacles de magie. Sans le côté sacré du "truc" qu'il ne faut pas dévoiler, ou qui au contraire fait l'objet d'une rude compétition à qui trouvera le truc en premier.
    Il y a les mêmes contraintes du spectaculaire dans une pub, dans un récit, dans une émission, dans une musique, que dans un spectacle de magie. On parle bien là de lévitation sur vérins, de coups de scie sur contorsionniste, d'apparition de lapin replié dans une manche, de cartes à jouer transdimensionnelles planquées dans le pli de la chemise, autant de trucage qui brise tout l'intérêt de la chose : amuser, immerger, perdre et émerveiller.


    Un jour une cousine me montrait les dessins animés que ses enfants regardent. J'y découvre une animation surprenante, dessin au crayon de couleur, dans un hiver tout mignon aux parfums de noël, qui annonce avec les trompettes un autre bel exemple de conte merveilleux que les gosses adorent (comme ça "non" ? roooh...). Surpris, donc, oui mais pas par la belle histoire, non, plutôt par la technique utilisée, à savoir l'animation 3D. Pourtant le crayon de couleur est bien là, avec son grain de papier et ses couleurs froides, scolaires, son étrange matière. On ne me trompe pas sur le sujet, c'était bien de la 3D, avec un travail soigné et remarquable pour la matière finale. Je reste bouche bée devant la qualité de la pirouette technique quand elle s'approche pour me dire :

    "Alors ça te plaît ?
    - Ouais
    - Tu sais que c'est pour les petits enfants, hein ?
    - Oh oui, mais c'est pas l'histoire que je regarde, c'est la technique. C'est quand même formidable, ils sont très forts !
    - ... mais, et la magie dans tout ça ?!"

    Je me tourne vers elle, toujours aussi surpris. Elle était effarée, me jaugeant comme si je n'étais qu'un pain de glace insensible et inattaquable même au burin. Et moi je la découvrait profondément naïve, sous un jour donc déplaisant, qui ne ressemblait pas à celle que j'avais connu.
    Et moi aussi, je venais tout juste d'arrêter de croire en la magie de ma cousine, sympathique et joyeuse, vive, créative, et donc à mon sens prodigieusement perspicace, qui même avec deux fois mon âge, n'avait toujours pas tilté que nos amours et nos envies n'ont jamais rien eu devant leurs yeux que l'œuvre de la gruge à deux sous pour cacher la misère et des tours claquettes adroits pour combler le vide. L'œuvre des mensonges, en règle générale.

    Triste monde

  • C'est juste. Une question de contrat passé entre le magicien et nous, de ce qu'on veut bien laisser passer de notre crédulité et ce que, au fond, l'on sait de la mécanique du spectacle, ou de l'artifice mis en branle pour nous faire éprouver le "vrai".

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