Mon ermitage solitaire, ma thébaïde, mon antre, mon refuge, mon bureau… Je travaille à présent au fond d’une réserve de musée de province, entre deux étagères de momies (je suis sûr que vous croyez que je plaisante, là), avec pour seule perspective une bâtisse art déco de l’autre côté de la rue. Je passe parfois des journées entières sans que personne ne descende l’escalier qui mène à ma retraite.
Le silence, les heures qui passent dans l’étude des œuvres et l’effeuillage des registres… Je me prends à rêver d’une vie d’ermite oublié, dont on évoquerait l’existence légendaire sous la forme du conte : « Oh, je me souviens, oui. Il y avait bien un type, là, qui est un jour descendu dans les souterrains… On ne l’a jamais revu. Parfois, les gardiens de nuit disent qu’on entend des soupirs, mais il n’y a personne ». Oui.
L’idéal serait une administration un rien kafkaïenne, qui négligerait de me savoir rentable, utile, ou vivant (si quand même vivant, faut bien que la paye tombe). Là, vieillissant à la limite du vieillissement, la peau diaphane à force de pénombre, la barbe longue et les yeux translucides des prophètes, je me rapetisserais jusqu’au minuscule, courbé plié froissé, on m’oublierait et j’écrirais. J’écrirais les heures du jour qui obliquent par la fenêtre, caressent le ventre des momies, j’écrirais le silence des gravures percé par les bruits de la rue. Le doux démembrement du temps sous les voûtes séculaires et l’apocalypse raisonnable de la ville. Je serais visionnaire, inspiré, illuminé et tremblant, parce que sorti du monde, rentré dans le ventre obscur des enfers du musée, rien ne m’atteindrait que le souffle d’agonie du dehors qui se croit en vie. Sur leur toile, les faux visages qui miment l’existence et la chair poursuivraient leur sourire inquiet, chanteraient pour moi, vieux compagnon, de murmurants refrains. Je serais bien.
Commentaires
Vivre hors des rouages du temps, causer d'où va le monde avec la grande faucheuse, en sirotant un thé ...
Suave, mari magno... Une image apaisante :)
En attendant l'apocalypse. Tranquille.