Le land-car du guide déboula enfin dans la clairière à toute allure. Marcus afficha une mine incrédule et désespérée :
“Mon Dieu, Pilescù, je ne sais pas ce qui est arrivé, c’est terrible !”. Derrière lui, l’incendie roulait comme un flot rouge, arrachait sauvagement des nuées de particules noires aux sapins engloutis. Pilescù, qui était un scientifique lui aussi, écarta les bras, impuissant : “ Je ne comprends pas, à cette saison...C’est incroyable. Tu as commis une imprudence ?”. Marcus se renfrogna : “ Mais enfin pour qui me prends-tu ? Je suis botaniste, ne l’oublie pas. Ce doit être quelqu’un d’ici. un braconnier, un paysan qui défriche, je ne sais pas.” Marcus discerna dans le regard briévement croisé de Pilescù un évident septicisme. Ce dernier se saisit des sacs qui trainaient et commença à enfourner le tout dans le coffre de la voiture.
“Tu aurais dû m’en parler, me rappeler”
“Cela vient juste de se déclarer, hurla Marcus, j’ai été tellement effrayé que je n’ai pensé qu’à reculer le matériel et je suis resté là...”
“Un tel incendie n’éclate pas d’un coup, comme ça. Tu n’as rien senti, rien entendu ?”
“Non, bon sang ! C’est arrivé tout d’un coup, je te dis.”
Pilescù hocha la tête : “En plus, le vent est face à la forêt. Le feu ne peut pas venir du coeur, il progresse en profondeur à partir d’ici.”
Marcus, qui s’activait lui aussi pour ranger le camp et se soustraire aux réflexions embarrassantes de son équipier, saisit une bonbonne de gaz pleine et le rejoignit. Pilescù avait sans doute l’intention de téléphoner depuis la voiture mais son collègue ne lui laissa pas le temps de saisir le combiné. La bonbonne rebondit à plusieurs reprises sur le crâne du traître et Marcus répéta son geste jusqu’à ce que son bras douloureux lui interdise de soulever à nouveau l’arme improvisée. Epuisé, au bord de l’évanouissement, Marcus poussa le corps de sa victime sur le siège du passager et s’installa au volant du véhicule. Il respira plusieurs fois profondément avant de démarrer. Il précipita le véhicule au coeur de l’incendie, sautant par la portière comme un héros de cinéma pour éviter l’imminente explosion. Comme il se redressait, il vit la voiture s’engouffrer en geignant dans la fournaise. Quelques secondes passèrent puis une boule éclatante déchira le rideau de feu, multipliant le grondement de l’incendie qui continuait de se propager. Marcus contemplait son oeuvre, puis il s’attarda sur ses vêtements éclaboussés, sur ses mains rougies, sur le camp désolé qu’envahissait une fumée âcre. Alors il rassembla ses forces pour s’éloigner en courant. Il plongea dans la première rivière qu’il rencontra, la traversa, s’enfonça dans les bois et disparut.
On le retrouva pourtant, quelques mois plus tard, sale, affamé, halluciné. Il venait pour la troisième fois ce jour-là, d'agresser un promeneur dont il avait cru deviner qu’il connaissait un endroit, pas loin, où poussaient quelques nigelles.
Commentaires
Et pan, encore un qui va terminer dans mes favoris. Il va me falloir huit litres de café par jour pour réussir à lire tout le monde.
Grand merci, et très honoré, non seulement de la visite, mais qu'elle ait été appréciée.