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Après l'éclipse

 
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Le jour de l’éclipse, j’étais face à la mer.

Le vent frais s’était levé, l’air avait brusquement changé de timbre. La terre a basculé dans l’or, l’ambre et le brun. Puis dans la nuit. Une main divine a jeté des étoiles dans le ciel éteint.

Fasciné, j’étais ailleurs, j’étais autrement, j’étais autre. Au bout de mes doigts, mes enfants, ma femme ; plus loin, des touristes, des inconnus, tous soulevés par la même énergie inédite. Une harmonie incompréhensible nous unissait, tous humains enveloppés d’une nuit extraterrestre.

Aussitôt, chancelant encore, je m’interrogeai. Il m’avait semblé retrouver dans l’émotion qui m’avait emporté une minute auparavant, une sensation connue. Je cherchai. Quand avais-je ressenti pareil éblouissement, pareil abandon de la raison à une émotion qui me submergeait ? Il me fallut longtemps pour trouver, je crois, et ce ne fut pas ce jour-là en tout cas. L’éclipse était achevée, la fête finie, les touristes et notre famille rejoignaient à regret les voitures. La lune s’était séparée du soleil, la terre avait recouvré ses couleurs.

Pendant le trajet qui nous ramenait au camping, pendant le temps de l'endormissement ce soir-là, pendant les jours qui suivirent, je remuais le souvenir de cette sensation extraordinaire, mais que j'étais convaincu d'avoir éprouvée déjà. Cela ressemblait à l'émotion ressentie devant la beauté d'un paysage, mais d'une manière plus élevée, c'est-à-dire moins première (pas la sensation de petitesse face à l'infini, par exemple). Cela avait à voir avec le dépassement, la sensation d'assister à un spectacle mystique, plus élevé que la compréhension humaine. Et soudain, cela me revint.

C'était au Louvre, que je visitai dix ans plus tôt, sans parcours établi. Au détour d'un couloir, la cloison d'une salle s'escamota et je me plantai devant un nouveau tableau. Il s'agissait du Saint-Jean Baptiste de Leonardo da Vinci. Les larmes aux yeux, le souffle coupé, je tentai de comprendre ce que mon corps et mon âme tentaient d'organiser, sous le choc, et sans ma volonté. Voilà : c'était cela, cette sensation. Cette impression d'être confronté à une oeuvre surhumaine, de jouir d'une beauté qui dépasse la pensée commune, de contempler un objet pourvu des forces incontrôlables et indifférentes de la nature. Le même élan, le même soulèvement de l'esprit, la même paralysie face à cette évidence. La beauté indépassable, qui rend muet le commentateur. Une expérience de Dieu sans Dieu. La révélation que de l'homme, naît ce qui peut l'élever hors de lui-même. Le faire donc exister.

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