Ce matin, tandis que je descendais la rue pour me rendre au travail, mon regard avait enregistré le titre du fait divers, placardé devant les magasins : "un enfant de 14 ans se suicide". Le quotidien de la presse quotidienne me dis-je, une tristesse de plus sous le ciel de notre ville. Les matinales sordides avec lesquelles, vaille que vaille, nous composons. Je me rendais au travail, l'esprit déjà occupé par des futilités professionnelles.
Plus tard dans le matin, JW est passé me voir, pâle. Il avait mal dormi ; il n'avait pas dormi. Il m'a raconté. Le gamin de 14 ans, il le connaissait. Il savait beaucoup de choses sur cet enfant, il savait son nom, son visage, sa voix, la façon dont il marchait et la couleur de son regard. Il savait le détail de sa dernière journée, jusqu'au moment mystérieux, invisible, abyssal, où le gamin s'est avancé tout seul, loin des autres, loin de ses copains et de sa famille, se foutre une balle dans la tête.
A 14 ans. Une balle dans la tête.
Après le passage de JW au bureau, repris par le silence des objets millénaires qui veillent sur moi, je me suis assis face à l'écran. J'ai même recommencé à travailler. Et puis, soudain, l'air s'est mué en une pâte de tristesse irrespirable. La douleur de JW m'a soudain traversé, j'ai senti un froid de lame planté dans l'échine. J'étais accablé. La journée s'est poursuivie pourtant. Les enfants du même collège que le gamin, ont visité une exposition, leur prof d'art plastique parlait, les oeuvres aux murs souriaient de leur immuable façade de couleurs, la ville dehors poussait son flot d'âmes vers le soir. Je suis parti plus tôt que d'habitude.
Le petit n'aura vu que quatorze mois d'octobre, et même pas.
Que m'a dit JW, ce matin, en me quittant ? Il m'a dit "la vie va reprendre ses droits". Voilà, c'est vrai. C'est irrépressible. La vie est là, elle nous arrache aux larmes et à l'attendrissement, elle nous pousse dehors, chaque fois.
Demain, je descendrai la rue comme chaque matin, et sur les placards de la presse quotidienne, on l'aura déjà oublié, le petit. JW ne l'oubliera pas et moi qui ne l'ait pourtant pas connu, non plus. Par contre, nous pourrons y penser sans tristesse. Avec de la révolte oui, mais sans tristesse.
Commentaires
Merci Léo, simplement merci.
Oui merci d'avoir trouvé de bons mots ... Sans complaisance ... La révolte exactement ///