Il faisait beau. Une marche agréable en prenant le chemin de la maison. Devant moi, la silhouette d'un type que je connais un peu. Il promène un landau. Manu. Je le vois là en père de famille rangé, rasé de près, retournant sagement chez lui. Manu, que j'ai connu il y a vingt ans, jeune chevelu rougissant, mélange de furie anarchiste et de froideur méfiante. Surtout détonateur en explosions textuelles. Les murs de l'atelier où il travaillait affichaient les aphorismes sortis sans prévenir de son cerveau fécond.
Pardon, mais 20 ans plus tard, je ne me souviens que de ces deux-là :
"Fumer provoque le bélier" et "le tabac nuit de la pleine lune".
Tous les autres, tous ceux que j'ai oubliés, mais qui me faisaient rire, étaient de cette même eau, poétique et drôle.
Est-ce qu'il continue, Manu, tandis que son bébé vagit dans la poussette qu'il entraîne chaque soir de beau temps, à produire de ces assertions dérisoires et bidonnantes ?
Sûrement, sûrement. On ne se défait pas comme ça de la bénédiction de créer.