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Bien punis !

La municipalité de la ville qui m'accueille depuis l'enfance multiplie les chantiers et, conséquemment, les visites de chantier. Pas seulement les visites techniques, mais les visites « touristiques ». Les habitants sont invités à venir constater l'évolution des travaux, la justesse des choix urbanistiques et le bon emploi fait de l'argent des contribuables. Des centaines de personnes eurent ainsi l'occasion de parcourir, bottés et casqués, les excavations d'un futur grand complexe cinématographique ou l'élévation d'un nouvel immense centre hospitalier. Mais le nombre des demandes, déjà impressionnant, a été décuplé ces derniers jours. Le quidam trépigne en effet de visiter le chantier... du futur centre pénitentiaire.

On pourrait gloser longtemps sur ce brusque engouement et ses raisons. Pour moi, une phrase retenue par un agent qui a reçu une demande d'inscription aux visites, résume bien l'état d'esprit des futurs visiteurs : « Il paraît qu'on va mettre la télé dans la prison ? ».

Voilà. Le brave administré veut seulement vérifier que son argent ne va pas servir à construire de trop belles cages, trop spacieuses, trop luxueuses. Il veut être sûr qu'on construira des cellules petites, sombres, incommodes, sans télé, humiliantes. Il veut s'assurer enfin que le condamné sera bien puni, comme il le mérite. Tandis que la municipalité bénit en souriant ce voyeurisme pervers, cette bassesse de misère célinienne...

Badinter avait dit là-dessus qu'il s'était longtemps confronté à ce problème : le grand public n'admet pas que la qualité de vie d'un prisonnier soit supérieure à celle des plus miséreux de la société. Vu le paupérisme terrifiant des couches les plus basses du système, on devine que la présence d'une télévision, d'un peu de chauffage, d'eau courante et de toilettes, parait le comble du laxisme à certains.

La qualité d'une société se juge à l'état de ses prisons. Pas de doute.

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