Un conte, écrit pour l'illustrateur Franck Perrot, parmi d'autres, mais dont il n'a pas voulu. Les descriptions étaient redondantes par rapport au travail qu'il pouvait accomplir. Ce sont des choses qui arrievnt. Absolument pas problématqiue, puisque cet artiste exceptionnel travaille déjà sur deux autres de mes contes (dont un bien avancé, magnifique). Je vous livre ici l'un de ceux dont il n'a pas voulu. La difficulté est de décrire poétiquement des sensations picturales avec un langage limité.
Papy, avant de partir, tu m'as dit d'être patiente. Parce que je m'énerve souvent quand je n'arrive pas à faire ce que je veux. Tu me disais que la patience s'apprend. Je n'ai pas écouté tout de suite, mais maintenant que tu es parti, je me souviens. Tu me disais : « Il y a un bon moyen pour apprendre la patience. » Alors, tu m'as parlé de la lumière. Tout le temps, quand je commençais à m'énerver, tu disais : « Regarde la lumière ! » Maintenant, je regarde. Je vais te raconter, Papy, comme je regarde bien, et tu verras comme je suis patiente.
D'abord la nuit, (parce qu'il y a quand même de la lumière la nuit !). Je suis assez grande pour ne pas demander de loupiote dans ma chambre. Surtout, je sais qu'il vaut mieux être dans le noir, pour regarder les lumières qui passent. Il y a la lumière jaune sous la porte, coupée de temps en temps par les pas de maman. Il y a les phares des voitures à travers les persiennes. Cela fait des rayures au plafond, petites d'abord et qui s'allongent loin, s'ouvrent comme des éventails avant de s'éteindre.
Le matin en hiver, il n'y a presque pas de lumière. Mais tu m'as dit de regarder quand même. Le soleil est endormi sous de grands nuages gris qui occupent le ciel. Partout, c'est de la lumière pâle, c'est de la lumière qui a froid. Et les gens sont comme elle, tout pâles. Tellement pâles, que le brouillard, parfois, les fait disparaître.
J'ai été très patiente, tu peux être fier de moi. J'ai attendu le printemps pour regarder sa lumière. Quand maman m'a dit : « C'est le printemps », je le savais déjà. Dehors, tout devient clair comme l'eau des ruisseaux, et les oiseaux montent très haut. Le soleil est tellement gai que tous ceux qui volent s'en vont chanter avec lui.
Si tu avais été là, l'autre soir... Tu aurais regardé la lumière avec moi. Il y a eu un orage vraiment fort, avec des éclairs qui me faisaient mal au cœur et tellement de pluie que les rues avaient l'air liquide. Quand l'orage s'est arrêté, papa et maman m'ont laissé sortir. Le ciel était sombre derrière la maison, une couleur comme la nuit, mais plus bleue... je ne sais pas dire. Et d'un coup, de l'autre côté, le soleil a ouvert le ciel, il a éclairé de jaune toute la maison. Si tu avais vu comme c'était beau ! J'ai beaucoup pensé à toi, hier, Papy.
L'été. Qu'est-ce que tu disais sur la lumière en été ? Ah oui, tu la trouvais bête, la lumière de l'été, tu disais : « C'est une lumière bête, elle est trop forte, elle écrase tout ». Moi, je l'aime bien. J'ai été patiente, j'ai regardé comme tu m'as appris. Et j'ai trouvé à quel moment la lumière est belle en été. Tu serais d'accord avec moi. Il y a plein de moments de belle lumière, dans cette saison. D'abord, quand l'arbre dessine des taches qui bougent sur la table du jardin. Ensuite quand le jour entre dans la maison pendant la sieste, et que les rideaux essaient de l'adoucir. Aussi quand le chat joue avec une libellule, dans un rayon de soleil.
Et puis maintenant il y a l'automne, ta saison préférée. J'ai bien regardé, Papy. J'ai bien regardé pour savoir pourquoi tu préférais la lumière de l'automne. J'ai regardé pendant toute la saison, patiemment, comme tu voulais. J'ai vu des matins avec un soleil petit et rouge, tellement loin au dessus des toits. J'ai vu d'autres matins avec juste un brin de lumière peureuse au dessus du fleuve, et des petites fumées de brume qui s'enroulent à la surface des prés. J'ai vu des rayons de vapeur à travers les arbres nus, plantés sur des chemins dorés de feuilles mortes. J'ai regardé le jour qui dormait à peine au dessus de l'horizon. J'ai vu des nuages blancs glisser à toute vitesse sous d'autres nuages, gras et gris. J'ai vu le soleil aussi pâle que la lune, dans le même ciel. J'ai regardé la ville, recouverte d'un drap gris. J'ai vu des soirs, le soleil disparu sous la terre, allumer encore le ventre des nuages et le dos des collines. Maintenant je sais pourquoi, de toutes les lumières de toutes les saisons, c'était la lumière de l'automne que tu préférais. C'est parce qu'elle change tout le temps.
Maman dit que cela fait un an que tu es parti. Et la lumière était très belle sur son visage quand elle m'a dit ça avec un drôle de sourire. Je l'ai vue, la lumière sur son visage, je l'ai vue grâce à toi, parce que maintenant, j'ai appris la patience.