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rencontre à Thonon

Thonon.JPGLe lendemain de mon arrivée, je reviens à la médiathèque que Chantal Loridant m’a montrée la veille. J’ai bien dormi, j’ai bien déjeuné, j’ai des bretelles, je suis prêt.
Quand le public s’installe parcimonieusement dans l’espace aménagé au rez-de-chaussée, nous prenons place à une petite table, Chantal et moi. Il y a peu de monde (allez, une douzaine de personnes), et les bibliothécaires tentent d’en trouver les raisons dans le changement d’horaire, car le café littéraire, pour une fois, se déroule le matin, le changement de temps, le vent, la crise, la neige, la morosité, l’heure matinale que sais-je. Pour moi, ce n’est pas grave, j’ai vu à Roanne des auteurs reconnus attirer six personnes dont trois bibliothécaires et trois cousins de l’auteur, installés dans la région. Je sais combien c’est difficile, et nous devons être d’autant plus reconnaissants, nous les auteurs inconnus de la petite édition, de bénéficier de ce soutien militant des agents du service public, contre toute logique commerciale.
Face à moi, dans le brouillard de ma myopie, les visages sont encore souriants. Une jeune pigiste du Dauphiné Libéré m’a été présentée. Elle va prendre des notes pendant deux heures, et je redoute le pire (j’ai une certaine expérience dans ce domaine). En fait, elle publiera dix lignes, point trop erronées, et les photos, que je mets en ligne ici. Avec ma reconnaissance.
Chantal me présente à la foule, s’interroge sur cette histoire de roman sous pseudo, qui aurait précédé « le baiser… ». Quelle idée ai-je eu d’en faire mention sur la quatrième de couverture ! A l’époque, je voulais faire comprendre – cerné que je suis, dans mon pays, d’écrivaillons qui s’auto-publient- qu’un roman n’est pas édité par hasard, que ce « premier » n’est pas le seul, que j’écris beaucoup et depuis toujours. De la bête vanité, qui me vaut à chaque fois de m’expliquer maladroitement à ce sujet. Bref. Nous évoquons aussi mon parcours, mes autres domaines d’écriture, nouvelles, théâtre, bande-dessinée.
Il est convenu que je lise deux extraits. Chantal souhaite une lecture du tout début et celle d’un autre passage, où il est question du défilé des enfants. Je m’en acquitte, mais je me trouve assez fade, sans verve.
Appuyé sur les questions qui s’enchaînent ensuite, j’explique que ce texte n’a pour moi pas beaucoup de profondeur (contrairement à ceux, inédits, que j’écris habituellement), qu’il est essentiellement forme et style. L’appareil littéraire est tout entier tourné vers le projet d’asphyxier le lecteur.
Comme souvent, je digresse, m’évade, bifurque. Je me trouve vraiment mauvais, aujourd’hui.
Ma grande peur est d’enfoncer des portes ouvertes, de redire des poncifs, des lieux communs : « nous sommes tous des bourreaux qui nous ignorons », « la violence est dans la nature de l’homme », etc. ; j’ai peur des références cumulées obligées et attendues : Orwell, Kafka, Lucien, Bartleby  et Nicolas, la servitude volontaire, la résistible ascension de, le meilleur des, la ferme des, l’expérience de. Pourtant, bien sûr, c’est juste, « le baiser » a été écrit sous l’influence de ces œuvres, y compris –quel mystère- de celles que je n’ai pas lues ; l’urgence qui m’a mobilisé pendant des mois a pris source dans l’effrayant regard extatique de jeunes qui attendaient un ministre de l’époque, il y a cinq ou six ans. Mais dire tout cela, au bout du compte, c’est dire quoi ? Qu’est-ce que « Le Baiser.. » apporte que la connaissance de tout cela n’a déjà apporté ? C’est ma grande hantise : répéter à un public acquis ce que chacun est prêt à entendre. J’avoue que j’aimerais parfois la rugosité de la contradiction.
Chantal évoque avec bonheur cette idée d’Azert qui, grimpant l’échelle sociale vers sa reconnaissance, plonge physiquement dans les étages inférieurs pour accomplir sa nouvelle tâche. J’en profite pour expliquer ma véritable nausée à la lecture des séances de torture, l’horreur que c’est de les écrire. Dans le public, Thérèse, une bibliothécaire, relève que l’humour noir dégoupille pourtant ces scènes terribles.
Il est question de l’aspect visuel de l’écriture, Chantal ajoute qu’il y aussi une grande importance des sons, ce qui me surprend heureusement. Je n’y avais pas pensé, mais c’est vrai, le bruit des pattes, les balles qui sifflent, les machines au bureau, la voix d’Alceste Badin… Les sons s’entremêlent dans la trame visuelle du récit. C’est ainsi, les textes sont toujours révélés aux auteurs par les lecteurs qui ont du talent. Peut-être plus que lui.
Une auditrice, qui n’a pas lu le livre, interroge sur ce qu’elle pense être mon trait dominant : la sensibilité. Il me semble, dis-je sans rougir, que cela rejoint directement la question de l’écriture, et de pourquoi on écrit. Il y a bien eu, pendant toutes ces années où j’ai enchaîné roman sur roman sans espoir d’être jamais publié, une pulsion, une inquiétude, un élan qui m’a obligé à produire ainsi ces œuvres secrètes ? Et c’est sans doute, oui, une sensibilité, partagée par tous ceux qui ne peuvent rien faire d’autre pour l’exprimer que créer, qui m’a poussé et me pousse encore à libérer cette exacerbation par les moyens de la littérature.
Malgré ma piètre performance, des personnes du public viennent me parler encore après la fin de la séance. Je dédicace quelques exemplaires, dont un pour les lecteurs de la Médiathèque de Thonon.
Je suis heureux et reconnaissant de cette première expérience. Perplexe aussi : ai-je appris quelque chose à qui que ce soit ? Est-ce que tout ce que j’avais à dire, ne se trouve pas, exclusivement, dans le texte ? Quel est le bilan carbone du transport de 80 kilos d’écrivain sur plusieurs centaines de kilomètres ?
Chantal et Thérèse m’entraîneront ensuite dans un agréable restaurant pour clore cette rencontre. Notre conversation est détendue, chaleureuse, comme le lieu. J’exige de mes hôtes le tutoiement, aussitôt naturel. Nous débattons littérature, politique, avenir, autour d’un vin de Ripailles et de perches du lac. Dehors, Thonon s’ensoleille et murmure sagement, indifférente aux imprécations des auteurs pessimistes.



Commentaires

  • D'abord, tu ne fais pas 80 kg. Enfin tu ne les fais pas. Ensuite, je comprends ce que tu veux dire, mais n'oublie jamais que s'ils t'ont invité toi parmi d'autres, c'est qu'ils (elles?) te voulaient vraiment et que rien que pour ça, ça valait le coup d'y aller. Pour le reste, c'est fascinant, j'aurais pu écrire certains passages mot pour mot.

  • Tu deviendrais pas un peu paranoïaque ?

  • Pourquoi tu me dis ça ? Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que tu sous-entends, tu veux quoi, tu me veux du mal ? Hein ?

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