Le beau zèle de Marielle – 2
Dans la petite bibliothèque, (visitée avant une courte sortie dans le village, histoire de jeter un œil à la tour « sarrasine » qui fut, semble-t-il, le lieu d'un bel ensemble de manifestations autour du thème de « la neige », naguère), je me prépare, rôde au milieu d'un cercle de chaises promptement installé. On entre, des plateaux couverts d'offrandes, posés sur les mains ouvertes, on se salue, on se sourit, on s'installe, on écoute. On écoute Marielle qui a préparé un texte malicieux pour me présenter, quelques pages émouvantes et justes où elle répond à mon inquiétude de l'autre jour, après mon passage à Thonon (bien que Thonon, entendons-nous, c'était très bien), sur l'utilité de la présence d'un auteur. Elle parle d’abord des échanges, suscités par la lecture d’un livre difficile, et que la venue de son auteur permettra de poursuivre, d’approfondir. Évidemment, tout le monde n’a pas aimé : le thème rebattu, les scènes horribles, l’écriture difficile. Pourquoi ce sujet, pourquoi aujourd’hui, pourquoi sous cette forme ? Là, la rencontre avec l’auteur devient essentielle.
C’est qu’un livre -qui doit se défendre tout seul, nous sommes d’accord- est aussi élaboré par un cerveau (en général), un vécu, une histoire travaillée depuis la chair, éprouvée depuis long, et qui surgit au terme d’une gestation (Marielle reprendra cette métaphore « utérine »). Tout cela, le lecteur en est avide, le bon lecteur, celui qui ne se contente pas d’avoir compris le livre, mais veut comprendre le pourquoi du livre, le comment du livre.
Je commence à saisir, moi, que les lecteurs sont cannibales et ont un désir de dévoration de l’écrit, qui va jusqu’à l’ingestion des pensées de celui qui « a fait l’expérience de la création littéraire ». Cette expérience, rappelle aussi Marielle, qui ne serait pas complète (ou qui ne serait peut-être pas, tout simplement), si elle n’était associée à celle de la lecture, « Lecture et écriture comme des démarches en miroir, l’une nourrissant l’autre », et c’est aussi le lecteur qu’accueille la bibliothèque de Bozel. D’ailleurs, une pile de livres derrière moi, inspirera, selon l’organisation de mon hôte, mes réactions de lecteur.
Après cette brillante introduction, « sans cirage de pompes », je ne sais que dire. J’enchaîne pourtant sur la notion de poncif du livre. C’est vrai, tout a déjà été dit sur les systèmes totalitaires et leur mécanisme ou leur installation, et je ne prétends pas décrire avec plus de pertinence que les autres cet aspect. Alors ? C’est que, expliqué-je, d’abord, je n’ai pas théorisé ce livre, il a surgi, point. Il fallait que je l’écrive, et que je l’écrive de cette façon. Du neuf ? Non, bien sûr, sauf peut-être ma voix, ma façon de dire, ma façon de me confronter à ce sujet qui me hante depuis toujours et sur lequel, très souvent, je reviens par tous les moyens. Ensuite, souplement, grâce aux enchaînements de mon hôte, il m'est possible d'expliquer comment s'est construit le récit, comment a été travaillé ce style particulier, quel défi c'était. La cohérence forme-fond ; plus que la cohérence, la fusion, la symbiose. Apnée, asphyxie, noyade. Et l'éditeur ? Quel est son poids dans le processus ? Le moment de ce roman, dans le reste de ma production, pourquoi ai-je dit que les scènes de torture me révulsaient moi-même ? A ma grande surprise, il se trouve que je suis capable de répondre à tout.
Dans son texte, Marielle évoque cet autre raison qui conforte l'intérêt de la venue d'un auteur. Quand son livre implique une médiation, ce « dont s’acquitte avec délice une bibliothécaire . L’accueil d’un auteur est la forme aboutie de ce travail de médiation. »
Il m’est impossible de résumer la richesse de nos échanges, ce soir-là, et mon bonheur de, non pas transmettre un quelconque savoir, mais échanger, comme l'a dit Marielle, échanger ensemble sur ce qui nous pousse à lire ou à écrire.
Hébergé chez Pascale, une cadre sup qui a décidé un jour de laisser tomber le stress et les leurres du pouvoir, même limité, je dors comme un loir, sans qu’il soit besoin de lampe de sel, me fait-on remarquer (je note une proportion de lecteurs de Kronix assez incroyable, à Bozel). Je m’endors comme un bienheureux, en pensant au récit que je vais faire à ma douce de cette soirée et, cerise sur le gâteau de Savoie, de la vision de ce mouflon au bord de la route, à peine dérangé par la voiture de Pascale, quand nous rentrions dans la nuit.
Le lendemain, Marielle et Corinne, une spécialiste qui fait entendre la « voix » de l’environnement à Courchevel, nous rejoignent comme convenu pour une promenade sur la neige ragaillardie par le soleil matinal. L’occasion de se connaître mieux et, tout simplement, de parler de tout et de rien, de la vie, des parcours de chacun, des projets… En cours de promenade, Pascale imagine, à tout hasard, de téléphoner à la famille Paccalet, dont nous voyons la maison non loin, pour proposer à Catherine et Yves Paccalet, de partager le repas de midi et m’offrir ainsi, en plus du reste, le bonheur de la découverte de l’auteur de « L’humanité disparaîtra, bon débarras ». Ils acceptent.
Yves Paccalet, regards et sourires ébauchés, retenus (on dirait timides si tout de même, l’accoutumance aux conférences, aux prises de paroles d’élus, n’avait rendu ce qualificatif douteux), parole claire et déroulement de pensée fluide qui vient au but. Un enchantement bien sûr. Autour de lui, nous écoutons le candidat aux régionales d’Europe Ecologie pour la Savoie, sur la liste de Meyrieu, et je crois qu’ici, en cet instant, chacun sait pour qui il va voter. La discussion est tellement agréable qu’elle se prolonge déraisonnablement, et c’est dans la précipitation que Marielle me ramènera à la gare.
Deux minutes avant l’heure, le train est à quai, je ne peux pas m’attarder, on se salue vite, la bise, on sait qu’on va se revoir, c’est au-delà de la seule prestation organisée, un moment qui compte dans la vie.
Dans un mail ultérieur, Marielle ajoutera aux bonnes raisons qui font qu’on invite un auteur, l’élargissement de son cercle d’amis. Rien que pour ça, en effet…
Commentaires
Pourquoi est-ce que je pense à Jean-Pierre dès le titre? Pardon, jeu de mots foireux...
C'est curieux, ces chroniques, parce qu'on a envie de partager mais qu'on se sent bien incapable de restituer ce qu'on a ressenti, paradoxe. Mais on touche ça du doigt et c'est déjà énorme.
Impossible à restituer. En tout cas, pas dans les délais serrés de la mise en ligne sur un blog. Je n'ai pas assez travaillé ce texte. Il ne rend pas un correct hommage à ceux qui m'ont accueilli, c'est fait de bric et de broc. Bon, je ferai mieux dans mes mémoires. Ehé. Et puis, je vais arrêter ces tentatives de raconter les rencontres. Je les annoncerai, je mettrai une photo si j'ai, et puis voilà. Pour Bozel, par contre, il le fallait. Parce qu'il s'est passé autre chose qu'un passage devant un cénacle de lettrés.
Que dire?... sinon merci ? (non, je ne vais pas me la jouer à la Pennac !...)
merci pour cette belle rencontre, ce qu'elle a provoqué (un sentiment de reconnaissance, des amitiés nouvelles...) merci pour ce texte, pour ce qu'il dit et tout ce qu'il suggère...
Une bien belle et énigmatique saison Lettres Frontière que celle-ci, au delà des livres (qui restent toujours de purs bonheurs de lecture, merci Lettres Frontière...) : je pense, quand je dis celà, à Bloye, à ta lecture pionnière (la tienne, puis celle de Cachard) des autres livres de la sélection, (précieuse démarche pour nous, lecteurs), à vos blogs respectifs qui mettent à distance l'amertume du "point final"...Je pense aussi au projet en gestation dont je t'ai parlé et que ta rencontre va précipiter...
Voilà, une belle rencontre qui fut vécue, partagée, dite...
Merci
Marielle
j'ai oublié de parler du titre : au delà du jeu de mots (bien pensé...) et si bien sûr nous comprenons "zèle" comme "une vive ardeur à servir une cause", j'aimerai dire ceci : le contraire ne me paraitrait pas digne de notre métier de "passeur".
Et puis ce "zèle" est aussi et surtout le fruit d'un travail d'équipe :si le bénévolat en bibliothèque doit trouver un sens, c'est bien celui d'une dynamique créée, d'une pluralité des regards : c'est précieux. Merci les filles !!
Oui, tu as raison : merci les filles !
(réaction à retardement : panne d'internet hier, ce qui explique aussi qu'il n'y ait pas eu de billet vendredi).