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La mesure des choses

Ceux qui, comme moi, ont vécu longtemps au sein de leur ville natale, ne s'en sont échappés que brièvement, en sont imprégnés de façon profonde. J'avais évoqué cette fusion dans un roman inachevé, Magma, qui sera égrené par bribes, dans « le psychopompe » (qui sortira un jour, parait-il). Extrait.

« Nous n'y prêtons pas attention, mais la ville nous a investis depuis longtemps ; elle a formé nos pensées, nous respirons son air, nos gestes ont pris la mesure de ses trottoirs, nos bras ont enregistré l'amplitude de ses rues, elle a moulé nos corps à sa mesure. Où que l'on soit, nos yeux captent d'abord les couleurs coutumières de notre berceau : les ocres délavés, les roses salis, les bruns et les nocturnes humides. Nos oreilles sont accoutumées aux sirènes d'alerte, aux vocables gueulés des terrasses, au rythme des machines. Nos nez repèrent avant tout, et distinguent les putridités d'avant l'orage, quand les canalisations jamais cartographiées d'anciennes tanneries ou de teintureries engorgent l'atmosphère de parfums à l'agonie.
Où que la vie nous entraîne, dans un souk ou à Brooklyn, soumis à des bruits et des odeurs semblables, nos corps y décèlent sans que la pensée les relèvent, des nuances d'écho et de réverbération qui nous feront éprouver l'émotion propre au dépaysement, par ce savoir intime que nos corps ont appris de la ville.
Nous partons donc, parfois très loin, le sang chahuté par des couleurs neuves, des sons différents, des froids autres, et nos pensées au retour, disent cet exotisme. Pourtant, là-bas, à chaque pas, dans le sable ou sur l'herbe, nos pieds se souvenaient du bitume de notre ville, nos narines et nos yeux rappelaient le souvenir des modestes façades sur les rues, et tout ce que nous racontons de nos voyages, pour la délectation des amis, n'est que le récit d'une comparaison. Les buildings sont mesurés en hauteurs de fenêtres, l'éclat du ciel en fonction du nôtre, et tout fleuve est un multiple de celui sur lequel nous sommes penchés depuis toujours. »

Commentaires

  • Je pense à un texte méconnu de Nizan, "présentation d'une ville", par ses strates, ses composantes, son organisation interne. "Le savoir intime", belle et juste expression...

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