Enfin, un film ! Je veux dire enfin un film réjouissant, intelligent, drôle, émouvant, généreux. Quinze idées par plan, une photo bidouillée, rebidouillée, traitée, maltraitée, sublimée, crasseuse ou solaire selon, des acteurs au poil, à poil, en pull ou pilou mais toujours pile, des dialogues géants, infimes, impec, hilarants, errant, ronds, patapon, un récit construit, reconstruit, déconstruit, altruiste, un Gérard au top, à moto, à mots, à moi, en émoi, emmené, trainé, entrainé, entrainant, trainant, jouissif et juste, enfin du cinoche Bon Dieu, du cinoche ! Enfin un film stimulant, quoi.
Mammuth, c'est un colibri d'acier qui fonce dans un pare-brise.
Commentaires
Oui, il avait déjà l'air tentant. Là, il fait encore plus envie.
Il me donnait un arrière goût de The Wrestler, comme ça, vu de loin. Je ne voulais pas assister à un remake, donc j'ai passé mon tour.
... bon... ben je vais quand même aller le voir :)
Tammuth : pas d'accord avec toi Christian. Mammuth c'est deux heures de Groland, bon très bien, la provo grosse-bourgeoise, je connais sa facilité à petite dose quotidienne sur Canal + Tammuth c'est mettre bout à bout des sketch de Groland-Charlie-Hebdo pour avoir bien en gros plan la bidoche de Gérard Depardieu, et moi je suis piégé dans mon fauteuil entre les rires gras des spectatrices dans la salle (le rire est d'autant plus gras et fort qu'elles en ont besoin pour se persuader que leur vie n'est pas ça, que le miroir ne les concerne pas) et ma petite révolte contre-moi-même de me dire qu'est-ce que ça signifie que je sois là à regarder Gérard Depardieu entrain de dire au fromager "je vais la buter ta petite gueule de connard"
alors que je voudrais plutôt être encore avec Yolande Moreau quand elle prend ailleurs la robe patinée de Séraphine... As-tu vu Séraphine? les larmes souriantes me viennent encore, tandis que Mammuth fut complètement oublié le lendemain.
Débat passionnant, Jean. Je m’inscris en faux, proteste : non, ce n’est pas Groland, bien au contraire, c’est tout l’opposé, malgré les apparences. Il faudrait parler de la poésie de la plupart des plans. Je t’étonne ? Reprenons : Même en laissant de côté cette ultime scène où un homme du quotidien, gras, laid, limité, embrasse sa femme comme un enfant sorti d’un long cauchemar en répétant : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime » avec une intensité croissante. Même en dédaignant ce plan magnifique où La caissière de supermarché repense à sa rencontre avec son homme, appuyée contre la vitre en surplomb qui donne sur le magasin. Même en effaçant de sa mémoire l’intrusion de l’art brut dans la construction banale du quotidien ou cette visite impromptue et invraisemblable d’une exposition d’art contemporain, même en négligeant les rires adolescents de Depardieu et d’Adjani, remuant un passé irrémédiable, même en faisant la fine bouche sur la scène de baignade dans la rivière, le traitement chimique de la pellicule pour accentuer le grain, les images volontairement sous-exposées, les travellings transformés en percussions graphiques, la qualité du son, même sans tout cela, il y a l’architecture de l’ensemble, la poésie de l’errance, du retour, de l’attente, la jubilation des rencontres. Je te concède une ou deux facilités, mais peut-être pas où tu les aurais mises : le son « off », dans la buvette en ruines, qui « raconte » la vie passée, et… Je ne vois bien que ce seul exemple. Le reste est une suite de plans somptueusement élaborés, calibrés au millimètre, enrichis à chaque seconde d’une trouvaille visuelle qui fait sens. Repense à ce seul plan, qui résume presque tout le film : Le héros vient de vendre sa Mammuth, symbole de son lien avec le deuil impossible de sa jeunesse, il chevauche une mobylette ridicule, disproportionnée (une sorte de Rossinante sous la masse de deux ou trois Quichotte fusionnés). En haut de la route, un premier plan sombre, découpé, incompréhensible. Depardieu vient au premier plan, sort un bouquet artificiel d’abord ridicule, et puis on comprend qu’il vient remplacer les fleurs, noircies, anciennes, qui marquaient l’endroit de l’accident, et occupaient –encombraient- le premier plan de façon aussi étrange. D’un coup, l’écran se colore. C’est fini. Le héros est arrivé au bout de sa quête et peut rentrer chez lui. Et chaque plan, chaque plan Jean je t’assure, est de la même eau, de la même élégance. Le problème, ce qui peut détourner l’attention de toute cette délicate construction, c’est le contexte, le « bagage » Groland, l’utilisation sans retenue de langage cru et d’obscénité. Pourtant, c’est le quotidien vécu de nombre de personnes. Celles sur lesquelles s’attardent les caméras de Kervern et Delépine, avec une bienveillance et un amour dont son bien incapables la plupart des cinéastes, même catalogués « sociaux » ou « engagés ».
Je ne dis pas que Mammuth est un chef-d’œuvre, mais je ne suis pas prêt de l’oublier quant à moi et même, au soir de la projection, en rentrant à la maison, j’avais le cerveau en ébullition, les idées me venaient, roulaient, se bousculaient, l’envie d’écrire, de créer, d’inventer, une stimulation tellement rare dans le cinéma aujourd’hui, où les plans sont convenus, les dialogues verbeux et édifiants, une jubilation. Ce film m’a apporté de la joie, il m’a démontré qu’on pouvait continuer d’inventer, de découvrir, de défricher.
Quant à « Séraphine » oui, j’ai vu ce beau film. L’élégance, plus convenue, y est manifeste aussi. Il m’a ému, mais il ne m’a pas percuté les neurones comme l’a fait Mammuth. Et si je défends ce dernier, qui n’a pas besoin de moi d’ailleurs, c’est par reconnaissance du bien qu’il m’a fait, comme m’ont enrichi les précédents des mêmes auteurs. Toujours intrigants, généreux, aux plans fixes (l’élégance rare des plans fixes -même plus rare : unique) parfaitement construits, intelligemment pensés. Des films de cinéma. Pas des téléfilms. (tiens, d’ailleurs : les plans sous-exposés : de véritables déclarations de guerre à la logique des rediffusions télé. Penser à ça aussi : le positionnement de ces gaillards par rapport à l’industrie). Je te laisse à ce point de ma démonstration, je pourrais te projeter le film en privé et te faire la démonstration à chaque minute de son inventivité et surtout de sa poésie véritable, pas celle des flous consensuels et des larmoiements bien éprouvés, mais je n’ai pas le temps.