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Zone de non-droit

Nous étions perdus. La chambre d'hôte que nous cherchions nous semblait avoir été subtilisée, tant nous étions passés de fois par l'unique chemin où, bon sang de bois elle devait bien être, selon les données concordantes d'internet, de la propriétaire par téléphone, des panneaux de signalisation et de la carte déployée sur les genoux et reprise sans cesse. De guerre lasse, l'heure avançant, l'ombre vite versée dans les replis de ce coin d'Auvergne gagnant sur nous, nous obliquâmes « pour voir », sur une route encore plus douteuse que les précédentes. La route s'engagea d'abord entre des talus proprement fauchés, puis s'inclina un peu avant de franchement descendre en fond de vallon. La pente forte obligeait le nez de la voiture à plonger devant et l'on distinguait au fond, dans un trou vers quoi la spirale de la route nous conduisait inexorablement, cinq ou six maisons tachées d'obscurité, ramassées en un groupe frileux. Nous descendions, le goudron laissa bientôt place à de la terre et des caillasses. Il était évident que personne ne serait venu établir une chambre d'hôte dans un tel entonnoir. Impossible de faire demi-tour, il fallait aller jusqu'en bas dans l'espoir de trouver un terrain où manœuvrer. Les abords du chemin n'étaient plus fauchés, de grands arbres stériles griffaient les pentes escarpées, des carcasses de voitures achevaient de disparaître sous les ronces et les orties. Le groupe de maisons approchait, nous nous enfoncions à chaque mètre dans une pénombre plus épaisse. Nous évitions de nous regarder, mais plus que le seul agacement de s'être à nouveau perdus, nous ressentions l'impression incroyable, irrationnelle, d'être en terre hostile. Nos rires inquiets ne pouvaient cacher la peur qui nous gagnait. Il nous fallut bien dépasser dans un virage les abords de la première maison. Pierres noires, toit de lauzes et planches grises, prés abandonnés, une vieille voiture abandonnée encore, aucun signe de vie. Pas une poule qui s'affaire. Pas de place pour remonter... la voiture descendait toujours, comme une fourmi suit inévitablement telle pente préparée par son prédateur. A l'approche d'une seconde maison, un misérable jardin, au dessus de nous. Et dans le jardin, une lourde femme, sans âge, vêtue de paquets marron indistincts, la chevelure noire que le vent généré dans ce cul-de-sac ne parvenait pas à remuer. Elle nous regardait, visage impassible, bras pesant sur les flancs, nous observait sans doute depuis l'amorce de notre descente. Évidemment, je pensais à Delivrance depuis un moment, et le regard à peine croisé de cette femme, son regard sans expression, impénétrable, me fit vraiment réaliser qu'il y a des endroits en France, des coins tellement reculés et durs, que personne n'y vient jamais, peut-être même pas le courrier et encore moins les gendarmes, des coins dont on peut éventuellement ne jamais ressortir -et qui saurait que nous étions là ? Les vraies zones de non-droit ne sont pas dans les banlieues soumises aux maffias, mais bien, j'en suis sûr à présent, au fond des gorges sombres de la campagne la plus négligée, éloignées de toute attention des médias, dépourvues du moindre intérêt économique, et où ne subsistent qu'une ou deux créatures floues, plantées comme des pierres au croisement des chemins, et qui patientent. La voiture parvient enfin au bout du cul-de-sac, où je trouve enfin assez de place pour tourner. Là-bas, la femme ne nous a pas quitté des yeux. Elle ne cherche aucune contenance, demeure bras inactifs, visage neutre, à observer la manoeuvre, et de même suit notre ascension et notre retour vers le ciel, là-haut, qui a gardé la lumière du jour tandis qu'ici, la nuit se rencogne aux coteaux et fait déjà son nid. Pendant la montée, à l'intérieur d'une des carcasses abandonnées, je surprends un mouvement indistinct. Et je vois une forme s'immobiliser entre les orties. Le coeur étreint par une peur sans nom, je passe le virage suivant en faisant déraisonnablement ronfler le moteur, pour couvrir une affreuse plainte qui monte avec nous, un cri surgi d'une gorge impossible et qui s'achève sur une sorte de sanglot.

Commentaires

  • Et c'est là que les forains t'ont fait descendre du train fantôme ? :p

  • le cri final est peut-être un peu too much. Mais bon, vous savez ce que c'est...

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