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Cinquième version

La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis, de proche en proche, retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles et le basculement lourd de la porte de la cellule. Sa cellule. Charon attendait l'irruption des visiteurs dont il avait perçu la progression jusqu'à lui, malgré l'engourdissement des drogues. Ils entrèrent. C'étaient quatre matons qui accompagnaient un homme.

Le visiteur considéra Charon. Le prisonnier était assis, menotté, bras en arrière, tête hirsute tombée sur le torse. L'homme écarta la frange qui masquait le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Un gardien approcha un tabouret en s'excusant de ne pouvoir offrir mieux. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. Laissez-moi écrire, souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et si ça le calmait !  ajouta un autre, non : ça l'excite ! ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Soudain, Charon redressa la tête, fit basculer sa chaise vers l'avant et se projeta tout entier pour tenter de mordre le visiteur. Les mâchoires claquèrent tout près du médecin horrifié. La chaise retomba en arrière et le visage de Charon s'effaça de nouveau. Un gardien ricana. Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » D'une main tremblante, il biffa une phrase dans son carnet. Le détenu murmura quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un... C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Rappelez les morts : j'ai à leur parler. »

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