Je suis plongé dans Les sentinelles. A l'arrêt de bus, un garçon que je n'ai pas remarqué, attend que je me lève pour m'accoster. Il veut savoir si je m'intéresse à la seconde guerre mondiale. Oui, bien sûr, en fait je m'intéresse à tout. Pourquoi ? « J'ai vu votre livre ouvert, une page marquée « 1943 », je me suis dit que c'était un livre sur la seconde guerre mondiale ... » c'est le cas, je lui explique le sujet du livre de Bruno Tessarech, et le garçon me révèle sa passion pour cette période et la résistance, notamment la résistance allemande. Plus tard, je lui prête mon livre. Il me le rend sans beaucoup de commentaires, mais a « trouvé ça bien ». Ce premier contact l'encourage à me dévoiler d'autres facettes de sa personnalité. Ses goûts littéraires l'entrainent bien loin de Sophie Scholl, dans les zones plus souvent explorées par les garçons de son âge (il a dix-sept ans) : la mythologie grecque (je retrouve la saveur de mes amours d'enfance) Harry Potter, les vampires, les mondes parallèles et les mangas. Enfin, il m'annonce qu'il écrit, et qu'il écrit un roman (comme tout le monde, me dis-je). Il ponctue la révélation en brandissant son portable, geste que je ne comprends pas, alors. Lors d'un autre trajet, l'écrivain en herbe me détaille sa technique : il écrit dès qu'il a un peu de temps, en cours de journée, sur son portable. A coups de SMS. Son récit se poursuit ainsi, petit à petit. Il a ainsi produit plus de cent SMS. Je m'intéresse, un peu abasourdi : « Et après ? Tu ouvres ton portable, et tu saisis tes textes sur l'ordinateur ? » « Pas tout de suite. Parce que le portable allumé parasite l'ordi. Je suis obligé de réécrire à la main chaque SMS, ensuite, avec mes notes, je reprends tout sur l'ordinateur. » Inutile de lui exprimer ma curiosité, le garçon a depuis longtemps envie de me montrer sa prose. Il me tend un petit carnet où sont reprises ses notes, copiées de sa prose sur SMS. Sans surprise : le héros est un garçon qui lui ressemble, et dès la deuxième page, il se retrouve dans un univers parallèle. Deux sources d'étonnement tout de même : il y a peu de fautes, et le premier univers traversé est celui des Pokémons, que l'auteur avoue ne pas aimer. Pourquoi l'avoir évoqué alors ? « Je demande à chacun de mes copains et de mes copines s'ils veulent être dans mon roman, et si oui, dans quel univers. Lui, c'était l'univers des Pokémons, alors voilà. » Je lui restitue le carnet avec admiration. Je ne connais pas d'auteur qui ait de pareils scrupules à respecter les désirs des personnages qu'il intègre à son récit.