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Echo

A l'arrêt de bus, quand j'arrive, il y a souvent cette étrange colonie installée avant moi. Un couple d'âge indéfinissable, qui s'échangent des moqueries à grands éclats, et se collent des bourrades, alternativement, quand la blague est décidément irrésistible, deux garçons très jeunes, incroyablement bavards, qui ne laisseront pas une seconde de répit à la chauffeure de bus, une fois montés (quand c'est un homme qui conduit, ils se tiennent coi, et regardent les vaches). Et puis il y a ce grand demeuré. Un garçon de quatorze ou quinze ans, peut-être plus, difficile d'être sûr. En été, il se retrouve seul près du banc enfin libéré de la colonie précédente. Ce banc libéré où j'espère lire quelques minutes. Mais le garçon a des talents vocaux. Il ne parle pas, ne chante pas, mais imite à la perfection, bien qu'avec plus de puissance, les sons produits par les bus qui passent, s'arrêtent, klaxonnent et repartent. Toute la gamme est reproduite  à la perfection: les soupirs pneumatiques de l'ouverture des portes, le vrombissement des accélérations, la plainte curieusement humaine des freins. Le gamin écoute, recrée, amplifie en l'imitant trois ou quatre fois de suite, le bruit qu'il vient d'écouter. C'est parfois saisissant de réalisme, et effrayant par l'intensité. Un double masculin de la nymphe écho. Le phénomène ne cesse pas quand il monte dans le car, le même car que moi. Grincements, roulis, décélérations, claquements, il ne nous épargne aucun son. Avec le fond sonore de la radio débile qui tonitrue dans les haut-parleurs, le cocktail est fatal à la plupart des lectures que je tente. Les écrivains de polar ou de thriller devraient tester ici l'efficacité de leurs trouvailles dramatiques. Le récit qui garderait concentré plus de dix minutes un lecteur dans ces conditions aurait les plus grandes chances de s'ajouter à la liste des best sellers. Il m'est arrivé de tenir ainsi les éructations du garçon en échec avec Shlomo Sand, Sorj Chalandon et Goldoni. Non mais !

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