Le bouton perdu de la prose du transsibérien, c'est le détail qui fait vrai. Comment ça se construit, un détail qui donne de la vraisemblance à la fiction ? Un exemple : je marche dans ce chemin et cueille des mûres au passage. Je prends garde de les prendre un peu haut, parce qu'il est toujours possible qu'un promeneur avant moi se soit soulagé sur les fruits, en bas. Aussitôt, j'imagine un faux souvenir d'enfance où, grimpé sur les épaules de mon frère, je pisse sur les mûres les plus hautes ; j'y ajouterai des éclats de rire, l'anecdote du jet qui tressaute, secoué par l'hilarité, la rigolade qui se poursuit en rentrant. Pendant la balade du lendemain, nous suggérons innocemment à nos cousins de choisir les mûres qui sont au sommet de la haie. Celles du bas étant susceptibles d’avoir été arrosées par des promeneurs indélicats, précisons-nous. C'est plausible, je ne l'ai jamais fait (techniquement, à la réflexion, c'est un peu compliqué), mais c'est plausible. Avec deux ou trois détails de ce genre, on peut entraîner le lecteur où l'on veut - et jusqu'en Sibérie. Le récit crédible ne s'appuie ni sur l'imagination, ni sur la réalité, mais sur la légère torsion de la réalité que pose sur tout une logique à l'affût.