L'heure du Roi
Dès la quatrième de couverture, le lecteur est sommé d’adorer un livre qu’on présente comme un grand livre et par ailleurs comme « le plus beau morceau de prose russe de la seconde moitié du vingtième siècle » (selon l’expression péremptoire d’un gamin de 18 ans benoîtement reprise par tous les internautes) et les atouts ne manquent pas pour le convaincre si besoin. L’histoire du livre d’abord : circulant sous le manteau dans la Russie soviétique des années 70 ; l’histoire de son auteur : Boris Khazanov, qui fait huit ans de travaux forcés et s’exile en Allemagne dans les années 80 ; l’argument : la vie du roi d’un petit pays et celle de ses sujets sous la botte nazie, et un acte final qui les honore et les condamne ; son style : sobre, évitant l’effet, court, habile et drôle (un humour à la Boulgakov, décalé, pince-sans-rire) ; son propos : la richesse des lectures à plusieurs niveaux, le questionnement philosophique qu’il apporte, les réflexions qu’il esquisse pour le bonheur des enseignants de seconde… Comment ne pas aimer un tel livre ? En a-t-on seulement le droit ? (On n’avait pas plus le droit, naguère, de faire la fine bouche à la lecture de « matin brun », cette fable édifiante pour les amateurs de récits sans complexité, ce qui leur semble la meilleure mesure des choses et la plus accessible au commun des mortels.)
Face à une telle force d’intimidation, le lecteur est assez mal à l’aise (autant dire « très embarrassé ») pour expliquer l’impression d’ennui qu’il a ressenti à presque chaque page. « Presque », car il faut applaudir avec enthousiasme à certaines scènes, particulièrement réussies : le passage de l’armée allemande à la frontière, la charge de la cavalerie au château, « l’heure du roi » (la première) et surtout une visite médicale d’anthologie. Ce n’est déjà pas si mal pour un petit récit de 115 pages. Il n’en reste pas moins que le peu de choses qui se passe là pourrait tenir –si l’écriture avait la sobriété et la finesse chantées sur tous les tons par d’autres lecteurs, tétanisés par l’adoration- en deux fois moins de pages. Et la fin, ménagée comme un suspense hitchcockien, la fin qu’on espère bouleversante, inédite, incroyable et annoncée comme telle, n’est que la redite du beau geste du roi du Danemark, imité par ses sujets. Pourquoi alors choisir l’utopie géographique, pourquoi abstraire du contexte, tandis que le contexte est primordial ?
Faut-il lire « l’heure du roi » ? Oui, bien entendu, c’est un livre élégant, riche, pertinent. Faut-il reprendre l’affirmation du Figaro qui en fait « un extraordinaire bijou de finesse littéraire », et celle citée au début de cette chronique, de « plus beau morceau de prose russe... » ? Essayons de mesurer nos enthousiasmes s’il-vous-plaît. Disons ce qui est : voici un bon support de réflexion pour étudiants et organisateurs de café-philo. Vous pouvez entendre par là que l’ouvrage est promis à un certain succès.
L'heure du Roi
Boris Khazanov
Edition Viviane Hamy. 7 €
Commentaires
J'avance à couvert. Ne voudrais pas être démasquée par cette bonne fée Viviane.
J'ai commencé "L'heure du Roi" parce que ce livre aurait dû être inscrit au patrimoine de l'humanité, dixit Le Canard. Je suis ravie que le Tango argentin le soit à sa place. Critique qui perd d'avance de sa légitimité puisque je n'l'ai pas lu jusqu'au bout. Désolée, pas le goût de l'effort.
Et Laurent m'a lu votre note du jour.
Merci.
Je reçois ce jour "La débâcle" de César Fauxbras, comme un roman qui comblera mes envies de lecture de ce soir. Je vous fais part de la quatrième de couv qui ne somme de rien : "Où qu'ils vont le mettre, ce coup-ci, le troufion inconnu ? A Perpignan ?"
Mais quand lira-t-on un énorme pavé de roman russe ??
Monsieur, mes amitiés du soir.
C'est Laurent, ma bonne fée, mais pas le genre à cafter de toute façon. merci à vous. Bonne lecture.