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Note sur "Mausolées"

Une note de Marielle Gillard, responsable de la Médiathèque de Gilly (bon, d'accord, aussi quelqu'un de généralement bienveillant à l'égard de mon travail, mais enfin qui n'est pas du genre à faire des courbettes pour autant), sur Mausolées:

Nous sommes en Europe, après « les conflits » en lutte contre les mafias et où un tiers de l’humanité a disparu. A quelle époque ? Libre au lecteur, selon son optimisme, à situer l’histoire dans ce siècle ou non. Léo Kargo, jeune écrivain, débarque à Sargonne, commune libre de cette Europe ralliée, sur la demande du richissime et controversé Pavel Adenito Khan, grand héros nés des conflits. La mission de Léo Kargo, dont il s’étonne lui-même : s’occuper de l’immense collection de livres de l’une des dernières bibliothèques au monde. Monde où l’on reproche aux livres de trahir et la littérature de ne servir à rien. Monde où les enfants sont en voie de disparition et où beaucoup d’adultes ont contacté la maladie des conflits, un vieillissement prématuré. Léo comprend vite que sa mission ne doit rien au hasard, au fil de ses rencontres improbables : un veilleur de nuit coprolalique, des femmes envoutantes, un expert et conseiller intrigant, une énigmatique créature mi-femme-mi-machine …

Roman de science-fiction ? Polar ? Roman d’aventure ? Roman hors genre ? Hors normes ? Je me risque malgré tout, sans vouloir l’enfermer, à le nommer roman épique. Parce qu’au-delà de l’histoire à rebondissements qui nous emmène jusqu’à nous perdre, ce roman a une dimension fondatrice essentielle. « miroir de notre époque troublée » nous dit la quatrième de couverture ; nous pourrions ajouter « miroir de nous-mêmes » : Le lecteur, pris au piège, pourrait faire partie intégrante de la galerie de personnages qui peuplent ce roman… Personnages nés du chaos, monolithiques ou thérianthropes, impressionnants ou troublants, prisonniers de leurs corps, effrayants ou magnifiques, aux noms qui convoquent notre imaginaire et nos sens …Tous sont décrits avec minutie, sauf Léo Kargo, reliés à chacun d’eux, personnage fil rouge, fil d’Ariane, fil de l’histoire, fil tendu entre les siècles au hasard de ses découvertes livresques…Tissage méticuleux, allégorie de ce que pourrait être une bibliothèque idéale.

« Mausolées » est un roman gigogne, labyrinthique, où la vérité, le bien, le mal s’opacifient au rythmes des trahisons, des morts impromptues…leurres et

illusions font le terreau de l’histoire et on a hâte de découvrir le dénouement… de découvrir la vérité, tangible . Mais existe-t-elle ?

Roman visionnaire dont la lecture nous glace ou nous révolte, nous interroge et nous préviens d’un possible : le chaos. La date charnière de « mai …16 » , la paralysie du monde suite à un virus informatique, arme de guerre, la barbarie qu’elle engendre , fait froid dans le dos …

Roman graphique où l’esthétique architecturale s’accorde avec l’histoire, les personnages : dédales baroques où l’on se perd. Rues sans issues, cours des miracles, bâtiments mégalomanes. Fac-similés. Bibliothèque, lieu refuge ou de perdition. Architecture vivante : ressort poétique du récit.

Roman mathématique, aux équations insolubles : intelligence, barbarie, culture, médiocrité, humanisme… Doubles jeux, sur l’échiquier du « palais des fous » et des relations humaines…

Roman sensuel, où les corps se jaugent, se mêlent, appellent à la vie.

Roman mythologique qui convoque le minotaure, Ariane, Ulysse, et Europe. L’auteur, familier des mythes, doit s’être délecté…

Roman philosophique qui questionne notre rapport au temps, notre place dans le monde, notre légitimité de démiurge face à la science, et où la quête du « sens » (livres, littérature, existence) est obsessionnelle ; On pense à Camus, Sisyphe et la phrase sibylline du « pont de Ran Mositar » de Franck Pavloff : « le monde est illisible ».

Enfin, comme une échappée possible pour nous lecteurs, une mise à distance, ce roman emprunte au théâtre ses coups, ses actes, ses monologues, ses apartés, son quatrième mur et le rideau qui tombe à la fin. Mais l’auteur n’entendra pas nos applaudissements muets, car nos bras, comme ceux de lilith, femme tronc, nous seront tombés…

Un roman riche, puissant, d’une grande maitrise, indispensable mausolée de nos certitudes : Et si c’était ça la littérature ?

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