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rencontres avec des gens biens

  • 3857

    index.jpegJ'écris ce billet sans avoir l'ouvrage sous la main, et je ne pourrai donc pas citer les nombreux passages que j'avais soulignés. Pourquoi ? Parce que, aussitôt refermé, je l'ai confié à un ami en lui promettant une belle séance de lecture. C'est que Les deux mariages de Lenka soulève l'enthousiasme et on n'a qu'une hâte : le faire partager illico.
    Isabelle Flaten, c'est La Bruyère projeté au XXIe siècle, gourmande des Caractères qui s'y promènent, spectatrice aguerrie des petits et grands travers humains, elle en tire de savoureuses observations, en variant les thèmes : l'amour, l'argent, la parole… Dans Se taire ou pas, paru chez son fidèle éditeur Le Réalgar, Isabelle Flaten explorait le thème de la parole retenue, empêchée, tue ou délivrée, jetée, arrachée, les raisons qu'on a de ne rien dire, celles qui font qu'on se croit tenu de se confier. Dans son dernier roman, avec son personnage de Lenka, l'auteure ne se contente pas de creuser plus loin cette interrogation, de plus en plus prégnante dans la dernière partie, elle en dissèque les atermoiements avec une qualité de chirurgienne grand style.
    Le cadre est idéal et choisi pour que l'effet soit maximum : Prague (que l'auteure connaît bien, elle y a vécu), au lendemain de la révolution de Velours. Parce qu'un tel bouleversement politique inverse les discours et rend la parole à ceux qui ont dû se taire longtemps, sous la coupe d'une dictature. Les deux mariages de Lenka peut d'abord évoquer une sorte de « Good Bye Lenine » inspiré, ravageur, cruel. Les 'valeurs' de l'occident capitaliste font irruption dans l'éternelle suspension communiste, viennent ringardiser le modèle soviétique, fragiliser les prudents, favoriser les coriaces et les audacieux et, plus surprenant, susciter les premières nostalgies. Les entrepreneurs étrangers débarquent, les rayons des magasins se remplissent. Le monde bascule, les maîtres d'hier font profil bas ou s'arrangent avec le nouveau système, les anciennes victimes remontent au jour, souvent dignes, indestructibles : l'Histoire leur a donné raison. Les turpitudes du passé ne sont pas exactement remisées : on les rumine en attendant de régler les comptes.
    Lenka, le personnage principal, n'est pas une héroïne, pas une résistante, c'est une femme bien ordinaire. Veuve d'un type dont on apprend les médiocrités et la noirceur de collabo et de délateur, la jeune femme est loin d'être un modèle. Elle a pu se faire illusion, croire que son défunt mari et elle avaient atténué, pour leurs « amis » et voisins, les rigueurs du régime. Les « amis » vont lui faire connaître l'envers du tableau, démolir le vernis, mettre à nu et à cru les saloperies passées. Lenka sait bien, au fond, qu'ils ont raison, elle sait bien qu'elle a soutenu son mari, partagé ses idées, encouragé ses affreuses décisions. Lenka est contrainte de faire le bilan de ce qu'ont pu coûter, en souffrances pour les autres, son petit confort matériel et ses compromissions de sympathisante. Quand s'ouvre le roman, la Révolution est passée, et pour Lenka, c'est le désastre. Elle est seule. Ses voisins, qu'elle croyait ses amis, la méprisent, ses parents, qui avaient bien perçu la nature de leur gendre et le détestaient, respirent enfin, peuvent réaliser leurs rêves et leurs films, et sa fille lui en apprend de belles sur sa manière de survivre dans ce nouveau milieu. Lenka est tombée de haut. Bien obligée, elle est femme de ménage, se découvre manipulatrice et kleptomane. Pas reluisante, décidément, Lenka. Pourtant, dans ce tableau désespérant, une lueur se fait en la personne d'un homme, Paolo, rencontré en France (car on peut partir à l'étranger maintenant) et décidé à conquérir la Tchéquie, Prague pour commencer. Il est tellement beau, sensuel, délicat, prévenant, riche, que Lenka est tentée de s'interdire d'y croire et puis, décidément, non, c'est bien vrai, cet homme parfait l'aime, lui offre un travail, ainsi qu'à sa fille, et veut l'épouser. Le danger ne vient pas de lui, pas directement, mais de ce que Lenka a tu. La crapulerie de son premier mariage, cette atmosphère cafardeuse qu'elle respirait bien volontiers et avec laquelle elle avait fait alliance. Alors, se taire ou pas, révéler à son futur mari, qu'elle aime sincèrement, quelle minable elle a été ? La deuxième partie du livre met en scène avec une habileté diabolique ce débat intime. On tremble pour Lenka. Avec elle, on redoute l'irruption des vérités, on attend l'inévitable révélation avec fatalisme et peur. Aussi médiocre soit-elle, on côtoie Lenka au plus juste et on éprouve de la compassion pour elle. C'est une des réussites d'Isabelle Flaten : la pertinence de ses portraits, on retrouve là le regard affûté de ses ouvrages précédents, qu'ils soient romans ou collections de courts récits. La fin est un magnifique tableau en demi-teinte. J'ai lu par ailleurs une critique parler d'espoir au final. Entre nous, je n'y crois pas, et il me semble que l'auteure non plus. Isabelle Flaten connaît bien trop l'humanité pour se leurrer. La vie continue, simplement, et c'est au couple, à présent, d'éroder ses aspérités pour ne plus s'y écorcher, de supporter les compromis, comme toute une société coupable, qui ne fut pas faite que de héros, doit s'arranger avec son passé. On y parvient, c'est le pire, on vit très bien avec ses fautes. Qu'on les taise, ou pas.

    Les deux mariages de Lenka. Isabelle Flaten. 15 euros. A paraître fin août au Réalgar.

  • 3851

    En cette période de déboulonnage des statues, travailler sur le conquistador Cortès n'a pas que des avantages, on peut le craindre. Est-ce que l’honnêteté intellectuelle, la distance prise d'emblée (car je n'ai pas eu besoin que se pose le débat, pour aborder la question du colonialisme occidental), l'appel aux sources diverses, nous épargneront les critiques ? C'est d'autant moins sûr que, le récit se déroulant sur deux albums, il faudrait que les lecteurs les plus sensibles à ce sujet, attendent la parution de l'ensemble (soit deux ans) pour saisir l'équilibre que je propose. Car c'est surtout dans le second volet que la vision de l'histoire par les peuples conquis est la plus patente, le premier se focalisant sur l'élan de la conquête espagnole et la figure de Cortès. Aucune hagiographie, je le promets, mais le spectacle fascinant d'hommes venus d'ailleurs, de marchands et soldats sûrs de leur bon droit, se voyant offrir un empire qu'a priori, ils ne désiraient pas (c'est le plus délicat à faire passer : la nuance apprise des faits). De même, ne pas traiter Moctezuma et les Aztèques comme des victimes, mais comme d'autres conquérants, pas meilleurs que les Européens, ce qui sera la cause de leur chute, semblera incorrect politiquement, mais se défendra historiquement. Quelle réception pour ce travail sincère et rigoureux ? J'espère que les lecteurs seront eux aussi, sincères et rigoureux.

  • 3838

    Hier soir, une amie, lectrice par ailleurs de mes romans, me faisait un retour de sa découverte de "J'habitais Roanne", un texte hybride, entre érudition un peu obsessionnelle et autobiographie, publié en 2011. L'originalité de son retour est qu'il est un enregistrement vidéo. Elle lit les passages, commente, évoque... c'est troublant, agréable, intime et efficace (les passages défilent sous mes yeux, en même temps que la voix discourt, bel effet de présence et de plongée dans le texte). Le premier passage qui l'a bouleversée, parce qu'il lui a rappelé une expérience personnelle, est celui qui suit. L'écoutant, je me suis dit que je pouvais opportunément en faire l'objet de mon billet du jour. Alors voici :

    "Au collège, les garçons étaient grossiers, les filles inaccessibles. J'appris un nouveau vocabulaire et je découvris, au milieu de foules d'enfants qui dépassaient mes capacités de compréhension, l'amour, l'amitié, la lutte contre les plus forts pour l'honneur, et surtout le racisme. Une conception du monde tellement éloignée de celle qu'on m'avait enseignée que, la première fois que j'y fus confronté, je ne compris rien à sa manifestation et ne la reconnus donc pas. Il y avait dans ma classe une fille plus brune sans doute que les autres, dont le nom sonnait différemment aussi. Mon peu de fréquentation du genre humain ne m'avait pas averti que ces nuances avaient la moindre importance. Des garçons, à côté de moi, plus précoces, mieux renseignés par leurs parents, le savaient, eux. Dès le premier cours, ils commencèrent à lui donner de petits coups de stylo dans le dos, à l'agacer, caressant ses cheveux dans une parodie obscène de séduction, l'appelant avec une vulgarité inouïe. Elle ne se retournait qu'à demi, les suppliait, ce qui redoublait leur cruauté. Ahuri par une telle obstination dans la méchanceté gratuite, je leur demandai moi, d'arrêter. Plus étonnés que convaincus, ils obéirent. L'un d'eux (je me souviens de ton nom, toi, quel homme es-tu devenu ?), souligna son regret d'avoir à cesser de si bien s'amuser, par ces mots : « on va pas être gentils avec ces gens-là ». Ces gens-là. Ces gens-là ? Mais de quoi parlait-il ? Je ne comprenais pas le sens de cette formule. Qui étaient ces gens-là ? La fille me semblait surtout très jolie. Comment pouvait-on vouloir du mal à une jolie fille ; à une fille même seulement, cette humanité fascinante ? C'était hors de mes possibilités d'analyse."

  • 3832

    Ce samedi, 13 juin, j'ai le plaisir et le grand honneur d'être l'invité de la librairie "Un monde à soi", à Roanne, à l'occasion de la journée des libraires indépendants.

    J'y serai présent de 10h à 12h30 et de 14h à 18 h. Sous mon masque, je sourirai, et d'une main désinfectée et preste, j'aurai le plaisir de vous dédicacer mon dernier roman : "Noir Canicule", paru juste avant le confinement (quel timing !) chez Phébus.

    Merci à Valérie, à Alexandre et David, la belle équipe !

  • 3824

    Il a fallu faire un choix, et cela pousse à donner ceux qu'on a écartés. C'était hier, pour l'excellent site L'Ambidextre que je vous invite à découvrir, site d'actualité culturelle dont j'ai eu, il y a peu, les honneurs avec un portrait assez complet et stimulant d'un certain Olivier Melville. Dans la foulée, L'Ambidextre m'a demandé de choisir un « son ». Ce que je voulais : musique classique, pop, chanson… Je me suis arrêté sur le magnifique « Comme un légo » de Gérard Manset interprété par Bashung. Mais, comme je le dis dans mon explication, c'est l'humeur du moment qui me l'a fait privilégiée. Je ne regrette pas, au contraire, seulement je profite de mon blog pour compléter ma liste, cruellement restreinte (c'est le jeu). J'aurais donc pu choisir, selon l'envie et le moment :
    Henyik Gorecki : "Symphonie des chants plaintifs"
    Sibelius : « Kullervo » ou « Skogsraet »
    Florence Foster Jenkins (qui me met toujours dans une humeur particulière, entre fou-rire et désespoir) : « La reine de la nuit »
    Abel Korzeniowski : BO de « Nocturnal animals »
    Brel : « Ces gens-là »
    Joanna Newsom : « Emily », de l'incroyable album « Ys » qui, apprends-je par wikipédia, fait partie des 1001 qu'il faut avoir écouté dans sa vie, ce qui ne veut rien dire, nous sommes d'accord, mais je suis heureusement surpris qu'un disque, que j'ai découvert, moi, complètement ignare, par hasard, soit à ce point universel)
    Philip Glass : Itaipu (avoir de bonnes basses)
    Oldelaf : La tristitude (même si, aujourd'hui, cette chanson est tellement imitée, il ne faut pas nier sa qualité originelle)
    Pomme (découverte grâce à une amie interprète que je vous propose aussi de remarquer : Libellule Dorée) : « On brûlera »
    Barbara Pravi (découverte grâce à l'algorithme de Youtube à partir de Pomme) : le Malamour
    Tout « Volk You » (mais on ne trouve que des teasers sur Youtube, il est donc conseillé d'acheter leur premier album si on veut savourer). Il faudra qu'on en reparle, parce que d'excellentes choses se profilent pour le groupe emmené par Jérôme Bodon-Clair.

    Et Satie, et Stravinsky, et Ravel, et Arvo Part, et Bernstein, et Mica Levi, Tom Waits, et Queen, et Anne Sylvestre, et Bigflo et Oli (si, si), hurle ma conscience ? Ajoutez-les, ajoutez encore Poledoris, Desplats, Fauré, Purcell, etc, etc.

    Etc, parce qu'on n'en finit pas de s'émerveiller. Et les choix dans ce vertige de milliers d'années sont impossibles. Impossibles. Quelle chance, quelle malédiction de vivre en des temps où la création dépasse nos capacités de perception !

     

  • 3816

    En avant-première, un extrait du scénario de la BD "Cortés" pour Glénat. Dessin Cédric Fernandez, couleurs Franck Perrot. Histoire de montrer, en coulisses, comment c'est fait, un scénar de BD (en tout cas, comment je les écris, moi). Quand Cédric aura avancé sur la première planche, je reviendrai montrer les différentes étapes de réalisation, avec son accord. En attendant qu'on mette sur pied un site dédié. Les [] indique une vignette facultative (parce que le découpage est dense, ici).


    Planche 3

    Légende : San Juan de Baracoa, Cuba. 1517.

    Intérieur jour. Chambre de Leonor. Le soleil irradie un rideau de drap blanc, tendu devant une fenêtre. Quelques éléments précieux aux murs, tableau et tenture, des coffres sur le plancher, ouverts sur des robes pliées aux motifs complexes. Le reste est assez sobre.

    1- Leonor (belle femme de type indien : c'est une Taïno de Cuba) nue étendue sur un lit défait. Elle fait jouer entre ses doigts un collier superbe : « Hernan… tu es complètement fou. » Un homme est assis près d'elle, il se rhabille. Il est à contre-jour sur l'écran de la fenêtre. C'est Cortés (il a 32 ans) : « Ne l'ébruite pas. On me croit le plus sage des hommes. »

    2- Leonor : « Je suis sûre que tu offres les mêmes bijoux à ta femme. Exactement les mêmes. »
    Cortés : « Tu es jalouse ? »
    Leonor, moqueuse : « Non, je m'interroge sur ton sens moral. »

    3- Cortés : « Catalina me fatigue en ce moment. Elle veut me retenir. »
    Leonor : « Si je t'aimais vraiment, moi aussi, je t'empêcherais de partir. »

    [4- Cortés : « Heureusement que tu ne m'aimes pas vraiment. »
    Leonor : « Heureusement. Je serais folle d'inquiétude. »]

    5- Cortés : « Léonor… Je n'ai pas le choix. La proposition de Diego Velasquez ne se refuse pas. Une expédition à la gloire de la Couronne... »

    6- Léonor : « Allons ! Je te connais. Tu ne peux pas résister à l'appel de l'aventure. Sinon, tu serais resté en Espagne. Un courtisan en vue, un ministre du roi, qui sait ? Rusé comme tu es. Avec le sens moral qui est le tien... »
    Cortés : « Mon sens moral te préoccupe beaucoup, décidément... »

    7- Leonor : « … Mais son absence, chez toi, me rassure, hi hi. Allons, je sais bien que ton encomienda de San Juan n'est pas assez grande pour toi, ni La Havane, ni Cuba, ni l'Espagne. »

    8- Cortés se regarde dans un miroir : « Je ferai mieux que Grijalva ou Cordoba. Je prendrai langue avec les autochtones, je marchanderai, je bâtirai un pays nouveau, avec eux. Je serai riche, affranchi de tous les gouverneurs et empereurs. Et alors, tu me rejoindras, avec notre fille. » Leonor : « … Et ta femme ? Aha, ton sens moral, Hernando, ton sens moral ! »

  • 3814

    Il y a des années de cela, j'ai signé une pétition pour la défense des droits des homosexuels dans je ne sais quel pays où leur vie est menacée. Depuis, l'association à l'initiative de la démarche m'envoie régulièrement des alertes sur les agissements de tel ou tel politique ou telle contrée, hostile (mortellement hostile) aux homos. Je pétitionne systématiquement. L'ONG m'adresse aussi, naturellement, des appels aux dons. La nature de ces appels m'intrigue : ils sont rédigés selon une terminologie et un ton qui sous-entendent que je suis, moi aussi, homo. Comme s'il leur était difficile de concevoir qu'un hétéro puisse compatir et s'indigner du sort fait aux autres, quels qu'ils soient. Femmes pour les féministes, noir pour les noirs, musulman pour les musulmans, juif pour les juifs, etc. Même là, les distinctions (implicites, non déclarées mais tout de même) opèrent. C'est à désespérer.

  • 3812

    Un ami écrivain au superbe parcours me confie le constat qu'il fait de son impuissance littéraire. Sans effroi, sans tristesse, il voit simplement qu'il n'a plus rien à dire. Même, le refus de son éditrice sur son dernier manuscrit sonne pour lui comme une libération. Il ne se sent plus obligé de proposer des textes. Mon rôle serait de le contredire, de le pousser à écrire encore, il est impensable qu'un auteur comme lui 'sèche' soudain ou se complaise dans le mutisme. Mais je comprends si parfaitement son état d'esprit, que je me contente de compatir, de lui souhaiter ce si paisible silence, ce repos de l'âme que seules nos manies d'écrivant combattent et rejettent. Un écrivain refuse souvent d'admettre qu'il ferait mieux de se taire. Je rends hommage à ceux qui ont le courage et la modestie d'accepter ce verdict avant que ce soient les lecteurs qui le lui imposent.

     

    A qui le tour ?

  • 3757

    Un rituel. C'est un rituel, et ça ne se discute pas. Ponctuellement, Kronix évoque la sortie des livres de Cachard, et Le Cheval de Troie analyse scrupuleusement les nouveaux romans de Chavassieux. Un pacte tacite, conclu à la naissance éditoriale des deux. Je dois admettre que Kronix est quelque peu débiteur, dans l'histoire. Les billets de Laurent étant nettement plus riches et fouillés que les pauvres recensions dont je suis capable. Je sais à peu père écrire, mais pas du tout communiquer les causes qui me font aimer un texte. Un véritable handicap, qui s'élève d'un cran quand il s'agit de parler de poésie. Le déséquilibre augmente encore avec cette analyse de "Noir Canicule" par Laurent Cachard, ici.

    C'est comme toujours fin, pertinent, amical (sans jamais être complaisant, l'honnêteté fait aussi partie du pacte). Bref, merci Laurent, et je n'en dis pas plus, parce que je suis un peu ému quand je le relis, à vrai dire (et me voici encore incapable de dire... enfin, voyez, on n'en sort pas).

     

     

     

  • 3756

    Une des toutes premières critiques à propos de "Noir Canicule" me fait vraiment chaud au cœur. Sur le blog de cannetille, la lectrice qui a parfaitement compris le sens et les thèmes du livre. J'en suis tout chamboulé.

    Elle écrit : "Cette canicule a au final des accents vaguement apocalyptiques, ressentis dans leur chair et dans leur âme par des personnages atteints dans leur intégrité et leurs fondamentaux. Elle est la représentation au sens propre de leur surchauffe personnelle, dans un monde qui doute et se sent à la dérive, vers un inconnu inquiétant et dangereux. 
    Etrange et dérangeant, voici un livre dont on sort pas indemne et qui laisse des questions plein la tête, tant cette histoire reflète le mal-être d'une société de plus en plus sujette à la peur, rationnelle ou non, de ne pas maîtriser son avenir."

    En plus, elle ne divulgâche pas. Merci, chère lectrice inconnue.

  • 3755

    Adèle se barre, Virginie enrage, Natacha réplique, Stéphanie tente de faire la part des choses. Pendant ce temps, les mecs se taisent, mains dans le dos, en regardant leurs chaussures.

  • 3752

    Hier soir, nous célébrions l'ouverture d'un chantier d'importance qui va, Cédric Fernandez (au dessin), Franck Perrot (à la couleur) et moi (au scénario), nous embarquer pour une collaboration de deux ans, au bas mot : la réalisation, pour Glénat, d'une BD en deux volumes sur la conquête du Mexique par Hernan Cortés. Un projet lancé il y a une dizaine d'années sous l'impulsion de Cédric, et qui a mis tout ce temps pour trouver un éditeur.
    Hier, avant de déboucher le champagne, tandis que je transférais de la documentation sur mon ordinateur, Cédric et moi nous amusions du nombre de fichiers contenus dans le dossier qui, par thésaurisation, résume notre collaboration : 11 titres. Et tous d'un bon niveau, je vous assure. De la piraterie fantaisiste à l'adaptation littéraire, d'un récit d'histoire contemporaine à un drame shakespearien ayant pour cadre la Scandinavie du VIIIe siècle en passant par la mythologie grecque, nous avons exploré tous les thèmes qui nous interpellaient. Le plus étonnant, encore, est la durée que l'ensemble symbolise : une vingtaine d'années. Dire que nous sommes têtus serait un euphémisme, vous l'avez compris, mais est-ce bien cet entêtement qui s'est révélé payant ? En partie seulement : le facteur déterminant est que Cédric et Franck assurent depuis pas mal d'années des réalisations qui font des succès de librairie (Saint-Exupéry, Les forêts d'Opale, Les Faucheurs de vent, bientôt Notre-Dame de Paris) et que les éditeurs leur font confiance, désormais. Je ne suis donc qu'un invité, reconnaissant de la chance qui lui échoie. Sans Cédric, je sais que j'aurais pu m'échiner encore des années sans le moindre résultat. L'aventure commence donc, et nous entrevoyons l'énormité du défi. La reconstitution d'une histoire aussi exotique et lointaine, la richesse graphique que nous voulons atteindre, l'ambition du récit, nous font considérer ce diptyque comme un enjeu particulier. Pour le reste, si vous lisez ce billet comme un hommage à mon ami dessinateur qui a si fidèlement tenté de me faire intégrer ce milieu pendant tout ce temps sans rien lâcher, vous avez raison.

  • 3750

    « Le sort dans la bouteille » est une commande, une pièce écrite à l'origine pour être interprétée par un seul comédien : François Frapier (qui fut naguère, un exceptionnel Dédale, dans « Pasiphaé »). J'avais imaginé pour lui un personnage, mauvais et impatient, houspillant le public qui ne s'installe pas assez vite, et presque pressé d'en finir. François aurait interprété tous les rôles, commentant les faits et les actes, et sommant le public d'approuver ou de protester.
    L'histoire qui inspire ce spectacle est bien connue des romorantinais. C'est un fait-divers de la fin du XIXe siècle, en Sologne : l'assassinat d'une pauvre vieille par sa fille et son gendre, paysans convaincus de se débarrasser du sort qui s'acharne sur eux, en la faisant brûler vive comme une sorcière. Les deux finiront décapités, sur la guillotine installée devant l'hôtel de ville de Romorantin.
    La très belle idée de François a été de chambouler le parti pris initial. Il a confié « Le sort dans la bouteille » aux élèves de son « atelier 360 degrés ». Deux poignées de personnalités, un concentré de jubilation et de curiosité, qu'il a emmené dans ce projet pendant plus d'un an. D'abord, il les a invités à considérer le texte comme une matière à creuser, à malaxer, à domestiquer, à s'en servir aussi de malle au trésor : allez y chercher des pépites, des colliers, des masques, y fouiller les intentions, les mots, les cris, les éclats et les ombres. Une démarche déstabilisante pour qui aborderait le théâtre de façon conventionnelle : distribution des rôles, apprentissage, exploration des personnages, costumes et décors... Là, les comédiens, tous amateurs, ont d’abord dû errer dans l'épaisseur du verbe, comme s'y baignant, s'y égarant parfois. Période difficile, m'ont-ils confié. Difficulté voulue par le metteur en scène. Et puis, lentement, la pièce a émergé, récit choral, voix dépliées, reprises, personnages échangés, prières, colères, peurs, haines, cocasseries et drames… les comédiens se sont appropriés les mots.
    J'étais récemment invité à la première représentation du texte, une forme hybride entre interprétation et lecture, une forme vivante, en voie d'achèvement. Expérience passionnante. On ne voit plus tel ou tel, tous les personnages sont comme fragmentés et se reconstituent sous nos yeux, par la magie de l'incarnation à plusieurs.
    La salle de la MJC était pleine, la chaleur vite étouffante. L'idée de faire brûler une mèche de cheveux dans un des rares moments « mis-en-scène » de la pièce (un rituel de sorcellerie dans la pénombre), a coloré le moment d'une âpreté bienvenue, tout à fait cohérente avec le propos.
    Pour le reste, la troupe s'est démenée, s'est amusée, a capté l'attention et suscité les réactions espérées, rires déployés ou gorge nouée. C'était bien. Et prometteur, car ce n'est qu'une étape : l'expérience sera poursuivie jusqu'à effacement du texte, appropriation et incarnation. Au delà d'une simple interprétation, grâce au travail en profondeur entrepris par François et sa troupe.
    Vous pensez bien que, pour un auteur, assister à cette ré-génération, ressemble à une déclaration d'amour. Et comme chaque fois qu'on a dit m'aimer, j'ai d'abord été incrédule, avant d'être soulevé de reconnaissance.
    Merci François, merci les amis.

  • 3739

    D'accord, je ferais mieux d'écrire, mais si je passe pas mal de temps sur Youtube, c'est au contact de chaînes que j'estime d'utilité publique, ou sinon, au moins, passionnantes. J'ai décidé de vous faire un petit florilège.

    D'abord, il y a les youtubeurs zététiciens qui s'évertuent à nous offrir les outils critiques pour trier le bon grain de l'ivraie au milieu du déferlement d'informations auquel nous sommes confrontés quotidiennement. Toutes ces chaînes sont soigneusement réalisées, elles suivent une déontologie claire (liens vers les articles et les sources en description, prises en compte des critiques...)

    Le premier de tous, reconnu par ses pairs : Hygiène mentale. Dissection des biais de confirmation, des mille-feuilles argumentatifs, explications sur la charge de la preuve, les graphes bayésiens, l'argument d'autorité, etc. Une véritable leçon d'éveil pour tout citoyen.

    Défékator (on défèque sur les fakes), n'est pas le plus élégant, il utilise parfois un humour pénible, mais son auteur s'empare de fakes, de vidéos, de rumeurs, de légendes urbaines, et surtout décrit les techniques qui lui permettent point par point, de remonter aux sources,  de situer, de dater, et démonte ainsi les mèmes les plus sophistiqués. Au passage, on apprend toutes les possibilités d'utilisation de la puissance de Google. Si ces techniques étaient apprises dès le collège, le complotisme n'aurait pas la même capacité de nuisance.

    La Tronche en biais. Vled Tapas et Acermandax coopèrent pour déconstruire les propos pseudo-scientifiques qui polluent la toile. Leurs émissions sont parfois très longues, densité et sérieux du travail obligent. On peut prolonger le plaisir de se sentir moins bêtes en lisant leurs ouvrages, nombreux.

    Il y a pas mal de Belges intéressants, sur Youtube comme ailleurs. A l'écouter, Mr Sam. est l'un d'eux. Ses "Points d'interrogation" sont toujours bien écrits, rigoureux, comme tous ceux que j'évoque ici.

    Max est là aborde des rivages de Youtube qui, sans lui, me seraient restés inconnus : des enfants jetés en pâture par leurs parents, des crétins incultes qui donnent des leçons de magouille, des arnaqueurs, des influenceurs inconséquents, vantant les vertus de contrefaçons, etc. Le travail de ce type-là devrait être suivi par les pouvoirs publics, je vous le dis.

    Toute cette communauté qui a pour but de ne pas s'en laisser compter et de décortiquer les méthodes des charlatans et profiteurs de la crédulité des autres, viennent parfois au secours d'un de ces vaillants combattants de la bêtise. En l'occurrence, récemment, Clément Freze, mentaliste de métier, avait piégé un médium célèbre : Bruno (qu'il ne se permet jamais de traiter de tricheur, mais la démonstration est éclatante). Le médium a fait "striker" sa vidéo, aussitôt reprise et relayée par les zététiciens du web, dans une magnifique illustration de l'effet Streisand.

    Les émissions scientifiques de qualité se font rare sur les chaînes de la TNT (il y en a encore, mais on peut s'estimer trop peu nourri). Je vous livre ici quelques unes de mes adresses favorites. Vous pouvez y aller, c'est vraiment du tout bon.

    Dirty Biology qui vous amène parfois à nous interroger sur les limites de notre identité (jusqu'à quel point, biologiquement, sommes-nous nous-mêmes ?), Le Vortex (plusieurs Youtubeurs, dont certains cités plus haut, cohabitent et combinent leur savoir pour compléter, enrichir, argumenter, préciser un sujet. C'est drôle, c'est vif, c'est passionnant), Micmaths (de Mickaël Launay, c'est assez pointu, pour de la vulgarsiation, mais ça reste accessible, même pour un incapable comme moi), e-penser, Science étonnante (bon, je ne suis pas souvent au niveau, mais pendant quelques minutes, j'ai l'impression de comprendre et je me dis qu'il en reste toujours quelque chose...) Nota Bene (célèbre chaîne d'histoire aujourd'hui, mais que je suis depuis ses débuts). Axolot explore l'étrange mais refuse le sensationnalisme, il voyage parfois et ses "escales" sont de véritables guides des chemins de traverse. Astronogeek est un dur à cuire et un fort en gueule, il peut facilement s'énerver contre les journalistes approximatifs aux articles putassiers, et il choisit souvent les titres de ses vidéos pour piéger les complotistes (la terre est plate, on n'est jamais allé sur la lune, etc.), pour démontrer exactement l'inverse de ce que les visiteurs ont cru trouver chez lui. Mais démonstrations rigoureuses, sourcées, réalisation sans effets. Comme tous les zététiciens évoqués ici : du beau travail.

    Il y en a beaucoup d'autres, tout aussi riches et passionnants, mais ils sont en général en lien avec ceux qui précèdent. Une véritable communauté de la pensée critique, vitale en ce moment.

    Je finis avec deux chaînes littéraires des plus pertinentes, l'une est orientée vers le public enseignant et les élèves : Mediaclasse. Les livres des différents programmes, leur résumé, des méthodes pour les analyser, même la voix de l'auteur et l'iconographie pour accompagner le propos...  la perfection est de ce monde. On pourra aussi se régaler avec L'alchimie d'un roman, chaîne d'un certain JP Depotte, qui décortique les œuvres, classiques surtout mais pas que, en s'appuyant sur une théorie des quatre éléments. Ça fonctionne, c'est vivant, pertinent, intelligent, une excellente initiation à l'analyse littéraire.

    Voilà, c'était un post un peu particulier aujourd'hui. Depuis le temps que je suis ces auteurs, je trouvais dommage de ne pas faire partager mon plaisir. Partout, décidément, il y a des gens qui œuvrent pour le bien commun.

  • 3722

    La poste a inventé un nouveau truc, ça s'appelle « service facteur » et ça se passe comme ça : Le facteur sonne à ta porte. Tu sors (enfin moi en général, quand le facteur sonne, je sors). Vous vous saluez. Il a une lettre dans une main et son portable dans l'autre. Embarrassé et fatigué par la connerie de ce monde, espérant tacitement ta sympathie, il t'explique le principe du « Service Facteur », d'ailleurs certifié par une étiquette qui reprend l'expression, sur l'enveloppe qu'il tient. « Je vous donne ce pli en personne et je dois vous lire le texte qui s'affiche sur mon écran. » Déjà ricanant, je l'encourage à officier. Le pauvre me lit alors quelques lignes insignifiantes, immédiatement oubliées, où il devait être question, je crois, de l'importance du contenu de la lettre. J'éclate de rire devant l’innocuité d'une telle opération, pensée quelque part par des pros du marketing, bien aware, bien start-up nation. Je signe sur l'écran pour confirmer que le héraut a bien délivré son message essentiel. Le facteur reçoit en sus l'expression de toute ma compassion pour cette mission débile. Il approuve, remercie de ma compréhension, nous ricanons tous les deux. Il repart, soulagé d'avoir dépassé le ridicule de l'épreuve. La lettre est restée sur la table quelques jours avant d'être jetée.

  • 3720

    Un mois pour réagir à un décès et rédiger le brouillon d'une lettre de condoléances acceptable. Sa sincérité n'est pas atténuée pourtant. J'hésite encore un temps. L'inquiétude de se croire indécent, impoli. Un long temps : un mois supplémentaire. S'ajoute alors la possible indélicatesse du retard. Et puis le partage du chagrin emporte la décision et t'oblige. Quelques minutes tendues pour coucher noir sur blanc tes mots, être sûr qu'ils conviennent. C’est fait. La lettre existe, pèse sur son papier. Nouvelle étape, pas moindre : oser la poster.

  • 3719

    Il y a comme ça, une dizaine de personnes qui s'escriment depuis plus d'un an sur un de mes textes. Un inédit, inspiré d'un crime sordide du XIXe, en Sologne. Le metteur en scène, François Frapier, me tient régulièrement au courant de l'avancée du travail, des lectures, reprises et choix. On s'achemine vers une création théâtrale complète, l'an prochain. Pour l'instant, je ne sais de l'interprétation de mon texte, que ce que François a bien voulu m'en dévoiler. L'autre soir, au téléphone, tandis qu'il préparait sa troupe à prononcer haut et fort la pièce sous la forme d'une lecture, j'ai entendu des voix d'hommes et de femmes, s'exclamer dans la bonne humeur, pour que j'écoute, au-delà de mon interlocuteur privilégié, leur appétit, leur énergie, leur entrain à s'approprier les mots que je leur ai confiés (leur reconnaissance ?). J'apprends maintenant que la première lecture s'est très bien passé. Ma reconnaissance éternelle aux amateurs qui veulent bien plonger sur une si longue période au cœur d'une seule œuvre ; ma reconnaissance aux professionnels qui endossent un tel chantier… Je pense ici aux metteurs en scène et, simultanément, aux éditeurs. Mon éditeur qui me dit, quand je le remercie, pour atténuer son mérite : « Tu sais, Christian, je suis grassement payé pour ça. » Je suis éperdu d'amitié pour les engagements des uns et des autres.

  • 3717

    Ce soir-là, ils avaient appris que Donald Trump viendrait dans la région pour inaugurer l'extension du golf voulu par le président de l'agglomération. Celui-là même qui, descendant du curé d'Ars, avait une parenté avec le chanteur Vianey. Ils s'engageaient solennellement à déféquer nuitamment dans les trous dudit golf. Il avait été aussi question de location de manteau de fourrure, viatique nécessaire à dépasser les files d'attente d'un fameux pâtissier. Et de pas mal d'autres choses compliquées à cerner. Enfin, le réveil du lendemain matin avait été un peu difficile.

  • 3716

    Il est très rare (circonstances plutôt qu'indifférence) que j'anime un rencontre autour d'un livre. Celui-ci est très particulier. Il s'agit d'une anthologie. Une savoureuse et riche recension des écrivains (morts ou vivants), qui ont écrit sur ma bonne ville, Roanne. Des surprises : Laurence Sterne, David Ponsonby (compositeur élève de Nadia Boulanger), de grands noms (Tournier, Sabatier, Saint-Exupéry, Barbara, Arsand, Ponge...), des oubliés (Montforez, Mercier...) et d'actuels, dont l'excellent Christian Degoutte que j'ai évoqué sur ce blog nombre de fois.

    Pierre-Julien Brunet a accompli un travail assez incroyable. Je lui ferai dire l'origine, les recherches, la réalisation, la récompense enfin, la publication de "Regards d'écrivains". Son complice Dom Thoral, sera là pour parler de son regard de photographe sur la ville. On va se régaler, je vous le dis. C'est ce soir, à 18 heures, au Jardin de Papier, rue Maréchal Foch, à Roanne, justement.

    Affiche_RencontreDedicace_Brunet_22nov2019.jpg

  • 3714

    Les livres commencés s'accumulent. Les notes sur les carnets sont poussives. L'écran ne s'allume plus que pour de vagues enquêtes… Des périodes qu'on aimerait ne pas traverser ou mieux : ne pas connaître. Dont l'expérience récurrente assure pourtant qu'elles sont, à terme, fécondes. Patienter, lové dans les sombres draps de la mélancolie. Patienter. Et, comme disait Paul (merci à Françoise pour ce rappel) :
    « Ces jours qui te semblent vides
    Et perdus pour l’univers
    Ont des racines avides
    Qui travaillent les déserts
    [...]
    Patient, patience,
    Patience dans l’azur!
    Chaque atome de silence
    Est la chance d’un fruit mûr!"