Entre les rayons, soudain, il remarque que tous les paquets de lessive sont rectangulaires. Quoi ? Plus de barils de lessive ? Plus cette amusante forme cylindrique avec sa poignée plastique ? Mais pourquoi, pourquoi ? Il s'adresse aux clients indifférents : « Mais vous réalisez que jamais vos enfants ne connaîtront cette forme particulière, cette invite, cette évocation de la colonne dorique, du tronc de mélèze, du tonneau des Danaïdes ? Vous vous rendez compte que quelque chose a été perdu, là, que nous ne retrouverons jamais ? » Il hurle, s'agenouille, bras en croix : « Pourquoi ? » Un vigile vient lui demander de se calmer, mais il déchire ses vêtements, se roule par terre, se couvre de cendres (car, opportunément, il en restait un petit tas, sous un rayonnage) « Ô désastre, Ô Apocalypse ! » Le vigile appelle à l'aide, des renforts viennent et emmènent l'exalté. Une caissière témoigne à une cliente, on voit de plus en plus de cas comme celui-ci, la nostalgie des choses disparues, la marche irrémédiable du temps, l'évidence que rien ne sera plus comme avant. La cliente hoche la tête, elle comprend. Elle-même, quand elle a appris qu'il n'y aurait plus jamais « Au Théâtre ce soir » et « La Piste aux étoiles », a connu une crise semblable, alors... Dehors, le client ne se calme pas, il ameute la population, inconsciente de son drame. On l'abat et tout rentre dans l'ordre. La caissière émet un soupir.