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Première scène

« Quand nous nous sommes séparés, je n'ai pas pleuré. J'avais le cœur sec. Lui n'a pas pleuré non plus. Nous étions secs tous les deux. D'ailleurs, ce fut une rupture sèche. Ça a cédé comme une branche morte, en hiver. Tac, comme ça. Pas de pleurs, pas de pluie ; mais du gel, un amour mort de froid sec. Je n'ai pas souffert, j'étais anesthésiée. Lui ? Non. Pas l'impression. D'ailleurs, le froid venait de lui. Il le soufflait à chaque parole. Tu as des façons, il disait, tu as des façons de dédaigner les autres, qui me font froid dans le dos. Tu parles ! Je ne dédaigne personne. Ses amis m'ennuyaient, voilà tout. Ils m'emmerdaient. Ah, les soirées à parler politique ! Il refaisait l'économie comme on refait un match ou une guerre, comme on refait le monde. Je lui disais : « t'en as pas marre de refaire le monde ? » Le monde ? Il répondait, le monde, ils l'ont défait, faut bien que quelqu'un le refasse ! Toujours une réplique, toujours une réponse... Une de ses phrases préférées, c'était : « C'est mon ex qui te paye pour m'emmerder ? » Mais j'avoue : il avait une façon de le dire qui me faisait rire –au début. Au temps des pêches, comme disent les marocains ; le beau temps des fruits à la peau de velours, juteux et clairs, ronds sous la main pleine. Quand les amoureux se tiennent chaud. Je ne dédaignais personne, non. C'est pas vrai. J'aime les gens. Je m'intéresse à eux. Ils m'ont toujours passionnée... Lui aussi, au début, je le trouvais intéressant, intelligent, subtil. C'est un mystère, ça : à la fin, tout ce qu'il disait me paraissait idiot. Est-ce que j'étais devenue plus intelligente, est-ce qu'il était devenu plus con ? Mystère... Je suppose qu'au début, on est tellement étonné qu'une personne s'intéresse à nous, que chacune de ses pensées paraît neuve et originale. Ça doit être ça. Les paroles de l'Autre ont l'attrait du regard neuf qui s'est posé sur nous. Parce que chaque parole nous est adressée. Ensuite, quand les mots reprennent leur fonction, quand l'Autre parle pour lui-même comme il l'a toujours fait, avant de nous connaître ; quand nos propres mots sont dirigés à nouveau vers nous, alors... C'est l'hiver. »

 

Extrait de "Le Rire du Limule" Création NU compagnie 2009.

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