Pieds nus sur les ronces - 2
Terminus. La gare de Malbec au petit matin, vaste gueule vide. Je débarque lourde de fatigue et je traîne ma valise avec son tambour infernal de roulettes à travers le silence du hall, qu'importe, il n'y a personne, le roulement me fait exister après la dilution de mon corps dans la foule. Sur l'arrêt-minute dehors, il n'y a qu'une voiture ; une femme en talon, bras croisés, y appuie ses fesses. Elle est trop bien habillée pour une heure si neuve, silhouette faite au moule, longue chevelure châtain aux reflets cuivre. Face à ce scandale, je me sens encore plus sale et défaite. Avec la fatigue, ça me cloue sur place et le fracas des roulettes est coupé net. La fille approche. Sourire gaîné de rouge (non, vraiment. À quelle heure faut-il se lever pour s'habiller, se maquiller, se coiffer ainsi ? Je recense toutes les occasions de me faire belle au cours de ma vie, n'en relève aucune qui m'ait obligée à sortir du lit avant l'aube). La voici, c'est bien elle, Katrine Viognier. Merci d'avoir prévenu de votre retard. Mais de rien voyons, c'est l'incendie, en ce moment... Elle sait, oui oui, nous nous sommes doutés tout de suite que cela allait occasionner des soucis (des soucis ? : j'ai vu l'apocalypse !) Katrine soupire, ses cheveux de mannequin font un mouvement gracieux, elle ajoute je suis confuse mais il y a un autre problème. Je sens ma dernière pile d'énergie entamer sa descente, s'il y a encore un retard, une paperasse à régler ou quoi que ce soit, je ne réponds plus de mes nerfs. Katrine explique tandis qu'elle m'emmène à l'hôtel : l'abbaye de Terret où je devais être hébergée pendant trois mois vient d'être saccagée, les résidents accueillis là ont été pris à partie, molestés, un artiste étranger a même été tué. Les dégâts sont impressionnants, il n’est plus possible d'héberger qui que ce soit dans l'abbaye. Katrine est désolée, ça s'est passé dans la nuit ; elle vient de l'apprendre. Elle va trouver une solution mais en attendant ce sera l'hôtel. Je ne dis rien, ou une phrase affectée qui semble s'extraire de ma gorge avec une lenteur de cloporte, je me laisse guider sans rien penser, vidée. J'aurai des émotions plus tard, de la peur et de la pitié pour cet artiste qui s'est fait tuer. Mais d'abord, dormir.