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Ra - 3/4

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On le voit, en réalité. Mais les pupilles se dérobent, les visages s’empêtrent dans une simulation de distraction. On le voit, mais on s’empresse de ne pas. Et Ra déambule, soufflant suant, à la rencontre d’un regard. Au cœur de la foule, Ra se comprend comme une entité flasque. La chaleur le détrempe de la tête aux pieds, il perdra ainsi deux à trois minuscules kilos dans la journée. Il imagine derrière lui un sillage de limace sur quoi les « secs » dérapent. Car les autres sont les secs, des silhouettes raides déplacées sur des rails, des totems animés aux moues sévères. Tellement durs qu’au passage ils menacent de couper, comme des dagues.

Ra marche depuis longtemps, il ressent enfin les signes de l’épuisement, accueille la fatigue avec reconnaissance. Encore quelques pas, et la douleur suffocante lui dira qu’il existe. Oh oui, il existe, qu’importe qu’on ne le sache pas ! Encore un pas. Je n’en peux plus. Un pas. Cette fois, je meurs, je tombe. Un pas. Je m’effondre et me répands, une flaque, une outre crevée, un sac qui dégueule. Ra est au bord de l’évanouissement, tout se teinte de vertige, les passants secs et longs traversent l’eau de son regard, un prisme étrange irise la ville. Parmi l’écheveau de ses pensées « Si je meurs maintenant, ils vont découvrir Bé », Ra perçoit le choc du bitume sous sa main, l’âpreté du sol sous le renflement de ses chairs. Voilà, il est par terre. On le regarde ? Même pas.

Et soudain, il y a ce bus, surgi d’une palpitation ivre, qui s’avance vers lui, stoppe à sa hauteur. La porte s’ouvre à l’aplomb du trottoir, tout près de lui. Il n’y a pas d’arrêt ici, d’ailleurs personne ne monte. Ra ne comprend pas immédiatement. Il entend une voix, mais ne saisit pas les mots. Le bus lui parle ? On lui demande « ça va ? » Personne ne bouge. Le temps se fige. « Vous avez besoin d’aide ? » dans l’enchevêtrement mécanique, entre portes et vitres, une silhouette sèche l’appelle. La langue de Ra est engourdie, elle n’articule pas les mots qu’il voudrait prononcer. Le sec, dans le ventre du car, rencogné parmi des verticales innombrables, continue de lui parler, mais sans sortir. Par la porte ouverte, Ra sent l’haleine de fraîcheur de l’habitacle climatisé. Il a l’image fugace d’une déambulation inédite, confortable. Mais surtout, il sourit à ce regard enfin posé sur lui. Le trottoir à nouveau résiste sous sa paume, la rue revient à la vie et les passants reprennent leur chemin obstiné. De toutes ses forces, Ra se hisse à bout de jambes, ouvre ses bras debout, sourit à l’impénétrable chauffeur du bus. Il clame, comme libéré « Oui, ça va ! », puis la rue plonge dans le noir.

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