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TROIS VOYAGEURS - 3/9

Je me demandais ce que je faisais là et ce qu'il allait advenir de nous lorsqu'une main se pose sur mon épaule. C'était un homme de quarante ans, un italien. Il m'adresse le premier sourire de cette terrible journée et m'attire dans un coin.

"Tout-à-l'heure, je vous ai vu traverser les lignes pour nous rejoindre. J'attends une lettre de la plus haute importance. Je suis le comte Salina. Peut-être êtes-vous mon messager ?"

Je le détrompai, et lui expliquai les péripéties qui m'avaient conduit ici. Le comte hocha la tête. Il avait l'air furieux.

"Alors, il faut que j'aille à Toffoli, il le faut. J'ai assez attendu." Il jeta un regard circulaire à la foule blottie sous la dérisoire protection des balcons.

"Si vous êtes aussi peu concerné que moi par ces combats, et si vous voulez être en vie demain, aidez-moi à fuir la ville."

Sur l'instant je n'ai pas trouvé curieux qu'un homme, apparemment impliqué dans la défense de la ville, et attendant un message de l'armée, puisse se dire "peu concerné" par les combats qui avaient massacré bon nombre de ses concitoyens ; alors j'ai acquiescé.

Et nous voilà tous les deux, abandonnant les pauvres gens à leur sort, zigzaguant à travers la mitraille qui se rapprochait, à la recherche d'un attelage abandonné. Le trouver était facile, mais maîtriser les chevaux affolés... Bref, j'y parviens et le comte s'empare des rênes au moment où, comme par magie, le bombardement cesse, laissant place à un silence terrible. "Ils vont charger" dit-il et il lance la carriole à travers les rues de la ville.

Comment sommes-nous sortis de là, je ne sais pas, mais je me souviens de la fureur et de la hargne du comte, aux commandes de l'attelage. Il hurlait, rageait, insultait les bêtes, tirait avec tant de force sur les guides qu'il semblait lui-même faire tourner la voiture. J'observais mon compagnon de fortune, fasciné : son visage était un masque de haine et de colère formidables, ses yeux avaient un éclat magnétique qui m'ôtait toute énergie. Notre carriole se trouva bientôt au milieu d'une large rivière. Les chevaux épuisés par notre course démente se laissèrent mourir en touchant la rive opposée. Derrière nous, une clameur lointaine s'éleva de la ville en flammes.

"Le sac a commencé" dit le comte, sans exprimer la moindre émotion.

Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à le détester. J'avais une dette envers lui : il m'avait sauvé la vie certainement, mais je lui demandai de m'en acquitter immédiatement. Le comte retrouva son sourire aimable et posa sa main sur mon épaule. "Je dois me rendre à Toffoli, rejoindre celle que j'aime. Pour moi, rien n'est plus important que cela. Je vous demande seulement de m'accompagner, mon rendez-vous se trouve à moins de vingt lieues d'ici. Je vous laisserai ensuite, avec de bonnes pièces d'or pour continuer votre voyage. Qu'en dites-vous?”

Evidemment, rien ne me retenait, et pourquoi ne pas aller dans cette ville que je ne connaissais pas ? J'acceptai.

 

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