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TROIS VOYAGEURS - Fin

Allez, courage, on arrive au bout... 

 

Ricardo fixa Mazetto de ses immenses yeux bleus : “C’est étrange. Avez-vous remarqué ?” Les deux convives se dévisageaient sans comprendre. Ricardo poursuivit : “Vos deux récits n’ont pas seulement des points communs ; ils pourraient se compléter. C’est-à-dire, être les deux actes d’une même pièce, deux chapîtres d’une même histoire. Dîtes-moi Theruel, après avoir enterré le comte Salina, qu’avez-vous fait ?”

Theruel haussa les épaules : “J’ai repris mon chemin en direction de la frontière”

-”Vous n’avez pas essayé de retrouver la personne qui vous avait lancés tous les deux dans cette folle équipée ?”

-”Ma foi, il n’y avait pas de nom sur le billet. Je n’avais aucune description. Comment la retrouver?”

-”Allons, dit Ricardo, une femme très belle, d’une certaine condition sans doute, dans un petit village comme Toffoli ! Ne pensez-vous pas qu’avec un peu de persévérance vous n’auriez pas fini par la retrouver ?”

Theruel semblait soudain convaincu :”Oui, peut-être...c’est facile à dire maintenant, mais à l’époque je n’ai même pas trouvé cela envisageable.”

Le vieil homme posa sa large main sur l’épaule du voyageur. “Rassurez vous Theruel, je ne vous blâme pas. Les actes, les choix que l’on fait ont une logique que seul le moment explique. Il est en effet facile, des années plus tard, de remettre en cause, de réécrire les heures de nos vies. A quoi bon ? Encore une fois, vous avez agi comme il fallait et pas un mot ne sortira de ma bouche pour vous condamner, mais, pardonnez-moi d’insister, j’ai envie d’approfondir vos récits dans cette perspective d’une même histoire que vous auriez partagée sans vous connaître encore, et qui met en relief toute la perverse puissance des ressorts de la destinée. Imaginons, cher Theruel, qu’après avoir enterré le cadavre du comte Salina, vous soyiez à Toffoli et que vous y trouviez, après disons un ou deux jours de recherches intensives, la jeune signorina dont nous a parlé Mazetto. Car je veux croire qu’il s’agit de la même beauté qui causa sans le savoir la mort du comte. Imaginez donc que vous lui expliquiez les raisons -on ne peut plus acceptables- du retard de son amant. Voilà une jeune femme qui ne vivrait plus dans le remords d’avoir trahi la mort de son frère pour un amoureux ingrat et oublieux. Le destin est d’autant plus malicieux d’ailleurs que, grâce à vous, cher Mazetto, la jeune femme est arrivée en retard à son rendez-vous...” Theruel coupa Ricardo : “...Et que, par conséquent, le comte n’avait pas de raison de se précipiter de la sorte.” -”Il se croyait en retard et serait arrivé en avance” ajouta Mazetto. -”C’est tragique” dit simplement Ricardo avec un terrible sourire. Puis il ajouta, alors que la plupart des voyageurs s’étaient retirés des tables autour d’eux, pour reprendre la route :” Mais après tout, ce n’est qu’une vue de l’esprit. Les similitudes de vos récits ne sont peut-être que des coïncidences, comme notre rencontre, et l’influence que chacun de nous vient d’apporter à chacune de nos vies. Nos routes vont se séparer, et notre destin n’est plus celui qui nous était tracé, ce matin encore. Tout cela parce que nous avions faim et que nous souhaitions un peu de compagnie. Je crois qu’il est temps de se quitter.”

Et Ricardo se leva pour disparaître dans la lumière aveuglante de l’extérieur. Sans un mot, Mazetto et Theruel l’imitèrent. Dehors, ils se regardèrent un moment puis, étreignant leur bâton de marche et ajustant leur sac sur l’épaule, ils prirent ensemble la direction de Torino.

FIN

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