Voilà qu'on se retrouve à 3 heures du matin, dans une de ces insomnies irrémédiables.
Un cauchemar où je vois mes enfants, où je me dispute avec eux et le réveil me laisse avec une sensation brutale de tristesse. Ils sont au chômage depuis longtemps l'un et l'autre, et je rumine le tragique de leurs pensées, quand, dans une nuit identique à celle-ci, ils ouvrent les yeux dans l'obscurité pour s'interroger sur leur place dans le monde. Un monde qui ne conçoit pas d'identité sans celle que confère le travail. Je suis malheureux pour eux. Je me refuse à les harceler en les culpabilisant davantage : "Alors, tu vas trouver un boulot, oui ? Tu vas te remuer un peu ?" parce que c'est tellement difficile. Le plus dur est d'être impuissant dans cette société qui s'exprime chaque jour davantage sous des formes brutales.
J'écris un peu, en attendant l'aube. Et pourquoi pas sur Kronix, tiens. Cette nuit, je pense à tous les amis et proches, giflés par la brutalité du monde. Je pense à ces garçons intelligents, subtils, doux et honnêtes, que leur solitude désespère. Je pense à ces femmes, déjà plongées dans une vie dure, courant entre enfant sans père et travail sans repos, et qui se voient condamnées à trimer ainsi jusqu'à la mort par épuisement, sans qu'aucun répit radieux leur soit accordé. Je pense à ce vieillard décharné qui hante nos rues et beugle sa folie de clochard pendant des heures. Je pense à cet ami précieux qui quitte sa femme et se trouve devant l'abîme d'une vie nouvelle certes, mais seul.
Je ne suis plus triste, mais je sens le poids de toutes ces solitudes. Et je mesure mieux ma chance. Je la souhaite à mes enfants, je vous la souhaite à tous.
Commentaires
Merci...
A voir, à propos de la dictature du travail et la culpabilité qu'elle génère: Man's Job de Aleksi Salmenperä...
Je ne connaissais pas. Merci pour l'information.
Ca ne te réussi pas les insomnies ! On a envie d'aller se tirer une balle direct... mais le texte est très beau et très généreux.
On devrait tjrs avoir un pote insomniaque, qui nous envoie des des pensées positives pendant que l'on dort !
Sinon, je suis bien d'accord sur le principe que, le Travail ne devrait pas être source exclusive d'existence...en même temps, il permet souvent de créer du lien social...
Un des gros intérêts du travail dans notre société de frustrés et de stressés est qu'il permet de s'y abrutir.
Quand je travaille, je ne me souviens plus de qui je suis. Je ne suis plus qu'un employé.
Qu'est-ce que ça soulage !
C'est doublement terrible le chômage : pas avoir de fric/occupation, et ne rien pouvoir faire d'autre que de s'en morfondre (la majorité des loisirs étant payante).