Voilà ce que j'écrivais, il y a moins d'un an :
" Quelques amis et collègues savent, de plus rares ont vraiment lu. Je pourrai me résoudre à n'écrire que pour eux, mais je vise l'universel, rien que ça. Récemment, j'écrivais à un ami précieux que j'avais fini de m'exciter là-dessus, parce que je considérais enfin, paisiblement, que j'étais un écrivain raté. Ce n'est pas si mal. Au moins ne me suis-je pas contenté de l'illusion d'une compilation autobiographique, comme j'en bouscule sur les stands de tous les salons du livre de la région. J'ai une ambition littéraire, chaque roman comporte un enjeu, mes sujets m'engagent, m'imposent un remuement d'idées et de concepts. Je prétends faire une oeuvre. C'était un secret naguère ; maintenant que plusieurs personnes le savent, c'est juste dérisoire. La fréquentation de bibliothèques monstrueuses où des milliers de livres oubliés additionnent leur reliure dans un pastiche de rempart, m'a habitué à l'idée que publier était vain. Mais écrire. Ecrire est un élan qui m'oblige et m'élève. On n'écrit pas pour soi, me disait un ami écrivain. Oui, j'écris pour un autre, multiple, qui ne me lira jamais. Je ne prétends à rien d'autre que d'élaborer, roman après roman, un univers. Et la création de cet univers m'impose l'éclaircissement de ce qui s'y trouve, et l'exploration de ses limites. C'est un enrichissement suffisant. La diffusion de la production que cette création engendre est une autre affaire. N'a pas d'intérêt en soi."
C'est que je n'imaginais pas être édité. Aujourd'hui que c'est à ma portée, aujourd'hui que c'est presque fait, comment me situer, par rapport à cette vanité ? En fait, s'il existe une véritable solennité à la métamorphose de son écriture sur un écran en cet objet aux charges magiques qu'on appelle un livre, cela ne change rien. Je n'ai pas choisi d'écrire, je le fais comme la pierre s'effondre, comme le bateau chavire, comme le regard se porte sur l'horizon. J'écrirai tant que cette inclination me mobilisera l'âme.