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Orage

Je repêche cet extrait d’un texte écrit pour un jeune photographe prometteur. Ce texte accompagne une exposition en Pologne. Il a donc été traduit, et le commanditaire a promis de me le faire entendre dans cette langue, expérience dont je m’émeus par anticipation. La série de photos est inspirée du thème de l’orage. J’ai choisi cet extrait, parce qu’il n’est pas question –frontalement- de photographie :

Bien sûr, il y a la puissance des bourrasques et la dureté pénétrante de l'eau, précipitée contre le sol depuis des abîmes qui frôlent les étoiles ; bien sûr il y a l'odeur de la terre abreuvée et les fourches éclatantes balancées d'un nuage à l'autre ; bien sûr il y a la spectaculaire démonstration de force de la nature. Mais l'orage, c'est aussi, c'est surtout, l'attente.

Le jour qui prend la teinte de l'acier, la chaleur qui tombe sur les champs et pèse sur la poitrine comme une angoisse, l'amoncellement vertigineux des vapeurs blanches, grises puis noircies, l'amollissement des pensées qui se perdent vers des ailleurs, les visages qui s'immobilisent dans la méditation. Avant l'orage, il y a l'inquiétude mais aussi l'exaltation, celles des hommes rejetés aux temps des abris précaires et des dieux impitoyables. Il y a la peur primitive d'être vulnérable. Et cela dépasse l'émotion retournée sur soi : cette suspension des certitudes se propage dans les éléments du décor. Les arbres au feuillage soudain immobile, les animaux arrêtés, disparus, réfugiés, les enfants muets, les gestes fatigués, les fauteuils abandonnés, les volets entrouverts, les murs ombrés d'une patine étrange. La lumière change de visage, les visages jettent une lumière nouvelle, faite d'ombres. Le paysage se modifie, s'imbibe de cette angoisse de fin du monde. Tout fait bloc, s'éternise, les choses, les hommes, les animaux. La pression bâillonne le temps. Enfin, dans une vaste respiration, le ciel rugit.

L'orage retourne le ventre du ciel, exhale l'âme de la terre, disperse les humains négligeables fondus dans la tourmente. Au-dessus des maisons, dans les maisons, l'œil, les regards, les arbres, la pluie, l'averse, le chœur mêlé des foudres et des femmes infimes, sur la plaine lourde de blé, le vent, les bourrasques terreuses, une griffe électrique écorche l'horizon, derrière la herse verticale de la pluie, rues et passants incertains se chevauchent. Le cœur explose, l'air se soulage, la vie crépite et hurle partout. Nous sommes au centre du temps, tout reprend sens, et l'homme est à l'écoute du pouls de la terre.

Nous avons tous connu l'orage. Mais combien d'orages ? Pourtant, dès l'enfance, la pulsion est la même, l'attente angoissée est la même, la pleine aspiration des poumons délivrés est la même. Ainsi, jusqu'à la fin des temps, il y aura cette alliance brutale de l'homme avec le ciel, cet instant de l'orage où ils se rencontrent, ce creuset où fusionnent le sublime et l'intime.

Commentaires

  • Quelle force dans ce texte et quelle belle description de la nature en colère. Rien n'y manque...

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