Vous souvenez-vous de la fin de "M le Maudit" de Fritz Lang ? je veux dire, la toute fin, après l'angoissante poursuite engagée par le bon peuple, dans les rues noires et luisantes de Berlin (d'ailleurs est-ce Berlin ? Disons une ville allemande, un quartier populaire), pour attraper le pédophile qui terrorise la population ? La toute fin, c'est-à-dire, après que le bon peuple, aidé par la pègre, a capturé Peter Lorre et improvise un procès dans quelque sous-sol. Vous vous souvenez ? Non ?
Alors, je vous rafraîchis la mémoire : la police intervient, et s'empare du criminel. Oui. C'était pour Lang une manière de dire (nous sommes en 1931, les nazis ne sont plus du tout une menace risible), que la république de Weimar fonctionne peut-être mal, qu'elle est à bout de souffle, mais que, n'empêche, c'est un régime toujours plus juste que celui de la haine populiste, une forme de pouvoir préférable au nazisme.
J'ai pensé à M le Maudit, l'autre jour, quand j'ai appris qu'un pauvre gars, parce qu'il ressemblait au portrait-robot d'un pédophile (maghrébin de surcroît), avait failli être lynché par le bon peuple vigilant qui faisait ses courses, ce jour-là, et trainait son quotidien autour d'un supermarché. Il a failli y passer, est à l'hôpital dans un état grave. Un homme a cru le reconnaître, a tiré un coup de flash ball (que faisait ce type, au supermarché, avec un engin pareil ?), a hurlé à la catonnade au pédophile comme on crie au loup, au feu, à mort, et les braves gens, les héroïques citoyens de Montreuil, les futurs miliciens de la Ville, ont cerné le type qui cherchait à s'enfuir (tu m'étonnes) et ils ont cogné. Ils ont cogné, coups de pieds, dans les côtes, le ventre, la tête, ils y sont allés de bon coeur, avec la jubilation du travail bien fait et qui ne doit pas attendre d'autre forme de procès. Les braves ordures. Vous imaginez ce groupe de bons français tapant sur un homme effondré à leurs pieds, suppliant et gémissant, égaré par la peur ? Ils se sont acharnés jusqu'à ce que la police arrive.
La France est aujourd'hui pire que les pires fantasmes de Lang dans l'Allemagne pré-nazie. Je n'arrête pas de le dire, je n'arrête pas d'alerter, mais tout le monde se moque de moi. Vous ne voyez pas que ce pays devient fou ?
Commentaires
Oh que si, parfaitement.
Et ça m'angoisse tellement que j'essaye de l'extraire avec "le Minotaure". Je pense qu'il n'est pas devenu fou ce pays. Je veux dire: c'était latent, c'est là, en nous depuis toujours. Mais tant que l'on était pas bousculé dans nos petites vies, tant que l'on avait l'illusion de contrôler les verticales et les horizontales, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Et puis, non. Le diagnostic est sans appel: cancer généralisé.
Et je crois qu'il n'y a rien de plus dangereux qu'un type qui n'a plus rien à perdre. Il cherche un coupable à son malheur, l'autre. Cela ne peut être lui.
@+
J'ai envie de dire : rien de nouveau sous le soleil. Je suis d'accord avec Oslo quand il dit que c'est inné en l'homme. En période de crise, il suffit d'une étincelle pour qu'aussitôt la foule se déchaîne. Il suffit de deux ou trois meneurs. Mon père m'a souvent raconté les exactions commises à la fin de la guerre -en particulier sur les femmes qui avaient "fricoté" avec les Allemands. Cette haine refoulée durant les années de guerre étaient beaucoup plus aisée à ressortir sur des femmes qui ne pouvaient se défendre. C'est un exemple parmi tant d'autres, celui qui me vient en premier à l'esprit, mais en cherchant un peu les exemples ne manquent pas... (ratonades, etc).