Un scène muette ou presque. J'aimais bien. François n'en a pas voulu. Elle n'apportait rien, il est vrai.
Une table longue, deux hommes à chaque extrémité, une femme sur un côté, mangent. Silencieusement, avec le sérieux et l'application qu'on met dans un travail minutieux. Un autre homme approche, une assiette à la main. Il déambule autour de la table. Il y a une série de chaises vides, plus ou moins éloignées. L'homme prend beaucoup de temps pour en choisir une. Les autres convives l'observent à la dérobée, mais continuent de manger. Enfin, l'invité s'assied et commence à manger. Les autres ont suspendu leur geste pour le regarder puis, comme s'ils s'étaient habitués à ce nouveau détail, reprennent leur repas. Au bout d'un certain temps, l'invité regarde la femme à côté de lui, et semble s'interroger sur ce qu'elle a dans son assiette. Il se décide enfin, tend une cuiller vers l'assiette de sa voisine. Tous les convives s'immobilisent et observent le manège de l'invité. La femme ne dit rien, attend que l'homme plonge sa cuiller dans l'assiette, mais son expression est désapprobatrice. L'invité se sert avec la lenteur qu'on peut mettre à désamorcer une mine, tandis que les autres le regardent, et porte la cuiller à sa bouche. Il apprécie, fait un signe de tête à sa voisine pour dire : « C'est rudement bon votre truc », il lui montre son assiette, offrant ainsi de lui faire goûter son propre potage. Mais elle le dédaigne et tous reprennent leur activité dans un bel ensemble. Un moment encore, puis l'invité fixe l'homme le plus proche de lui. On voit qu'il aimerait bien goûter aussi sa soupe, mais hésite. Enfin, il approche timidement sa cuiller. L'autre s'arrête. Tous s'arrêtent. Visages contrariés. Comme le convive ne proteste pas, l'invité s'enhardit à plonger la cuiller et à goûter. Un temps, puis tous reprennent le repas. Au bout d'un moment. L'invité, pourtant dernier arrivé, repose sa cuiller : il a fini. Les autres mangent encore, très lentement.
L'invité avise le troisième convive, qu'il n'a pas encore importuné. Cette fois, il doit se lever pour approcher. Ce qu'il fait, la cuiller en main. L'autre, tout en mangeant, surveille du coin de l'oeil la manoeuvre de l'invité, sans s'interrompre. L'invité s'assied à côté de lui. Il approche la cuiller de l'assiette. Le convive pose sa main libre en paravent sur l'aile de l'assiette. L'invité tente de contourner l'obstacle. Le convive, farouche, éloignant son assiette : « Oh ! » Les autres s'arrêtent. Observent la scène. L'invité a un recul, fait un geste d'excuse. Il revient à sa place. Après un temps, les autres se remettent à manger. L'invité se lève, décide de tourner autour de la table. Les autres jettent de temps en temps des coups d'oeil inquiets. Quand il s'approche, le troisième convive se penche plus près de son assiette. L'invité s'éloigne. Le manège peut durer longtemps. L'invité va imaginer plusieurs ruses pour pouvoir goûter la dernière assiette. A la fin, j'imagine qu'il se rassoit, sort une cigarette et un briquet de sa poche. Les autres le regardent, médusés, scandalisés. L'invité approche la cigarette de ses lèvres, puis allume le briquet... il approche le briquet... Les autres sont terrifiés (il ne va tout de même pas ? Il ne va pas oser ??...). L'invité fait durer le suspense. Allumera ? allumera pas ?. Enfin, il allume la cigarette. Les convives fuient en hurlant. Satisfait, l'invité éteint sa cigarette, se dirige vers l'assiette tant convoitée. Elle est vide.
Commentaires
Elle n'apportait rien et pourtant, cet épisode assez silencieux semble être très parlant. Un vrai texte pour un jeu de théâtre. Et puis ces petits gestes pourraient avoir une saveur certaine.