Finalement, tandis que le car a pris une heure de retard, tout le monde ou presque s'est pris au jeu. Il conclut. « Bien, j'ai un premier classement. C'est bien ce que je pensais. Certains d'entre vous sont plus ou moins clients de la compagnie. Alors : Les bons clients... » L'auditoire est suspendu à sa déclaration. « Un : Le client idéal est celui qui pèse moins de soixante-dix kilos, parle la langue locale mais se tait, est poli et ne sent pas, paye les tickets à l'unité plutôt que par abonnement mais prend le bus tous les jours, sur plusieurs lignes depuis plus de trente ans, offre des fromages au chauffeur et des fleurs à sa femme de temps en temps, connaît par cœur l'histoire de la compagnie, est toujours à l'arrêt un quart d'heure au moins avant l'arrivée du bus et n'emporte rien de plus que les clés dans sa poche ou, à la rigueur, un sac à mains, se frotte les pieds avant de monter, n'écoute pas de musique au casque et apprécie la radio proposée par le chauffeur dans les haut-parleurs, n'importune pas le chauffeur avec ses histoires personnelles et monte ou descend et trouve sa place en moins de quarante secondes ; Deux : ceux qui sont payent régulièrement les trajets depuis le plus grand nombre d'années, par ordre décroissant, avec un handicap pour ceux qui ne prennent le bus qu'une fois par semaine, mais un relèvement de quotient pour ceux qui prennent le bus sur plusieurs lignes de la compagnie au moins deux fois par semaine. Trois... » Il énuméra ainsi plus d'une cinquantaine de catégories, nous avions plus de deux heures de retard, et le gamin, dehors, avait disparu dans la nuit. Le chauffeur classa de l'avant vers l'arrière du bus, les clients des meilleurs aux pires. J'étais, avec d'autres qui avaient refusé de se prononcer, au fond, dans la catégorie des mauvais clients ; et les bons clients, brevetés à présent, nous expulsèrent. Notre petit groupe, frigorifié, se retrouva dans l'hiver et observa le bus repartir. A notre grande surprise, il s'arrêta cent mètres plus loin, et abandonna deux ou trois personnes, un couple d'adolescent et une femme un peu forte, qui étaient juste dans les rangs devant nous, quelques minutes plus tôt. Et il repartir, enfin délivré de ses mauvais éléments.
Commentaires
eh oh du Kafka !!! oui comme tu le présentais, le baiser était tout prophétique dans ce qu'il dénonçait ... très amère tout cela, comme un thé trop fort, lent à infuser mais qui une fois installé, aurait du mal à être dilué, et dont on garderait le gout âpre quelques années en bouche ... Sale temps définitivement. Comme dirait le chapelier fou d'Alice "il est toujours cinq heure" ... Bien à toi.
Je...je... Est-ce vrai parce que là, c'est surréaliste, c'est trop bon pour être vrai. J'veux dire, je vais le prendre ce bus. Ce mec est un vrai, un pur, tout droit sorti du Baiser comme dit JBC. Quel suspens en tous cas!
Bien sûr que c'est vrai. Tu appelles la compagnie de bus, la France, le chauffeur, Sarko ou Besson, tu remplaces le mot "client" par le mot "français", et tu te retrouves aujourd'hui et maintenant.
Seule la fin est une prophétie. Mais ça ne va plus tarder.
Bonne journée.
J'avais saisi l'allégorie mais ton talent de narrateur et ta capacité à te retrouver dans des histoires rocambolesques me font toujours douter...