Celui-ci s'intitule "Magma", et il me tient à coeur. Je l'ai travaillé pendant plus d'un an. J'y ai épuisé beaucoup d'énergie, de temps, de foi. Finalement, j'ai renoncé, pour des raisons trop longues à expliquer ici. Mais j'y reviendrai, c'est sûr. Comme je suis revenu sur "L'Husine" pour produire "le Baiser de la Nourrice", en découvrant soudain l'angle qui faisait sens. Le détail amusant, c'est que, puisque je n'arrivais à rien sur "Magma", j'ai demandé à Jean-Marc, mon précieux ami Jean-Marc, de m'offrir un sujet dont il m'avait parlé un jour, et qui sera celui de mon prochain roman publié : "le psychopompe". D'ailleurs, dans "le psychopompe", le personnage central, un écrivain (pas moi : je n'étais pas encore publié quand j'ai commencé "Magma") échoue à écrire un roman qui s'intitule, justement, "Magma". Mise en abymes... Ce qui suit n'est pas le début, que je me réserve, mais un passage du début, qui ne dévoile rien de l'intrigue.
Croizan-sur-Loire n’offre que des hochements de tête et des souvenirs, mais c’est ma ville triste et vieille que je ne quitterai pas. Je n’ai pas le goût de la réussite, je suis sans ambition. J’aime seulement la paix. Venu d’ailleurs, je n’aurais pas trouvé plus adapté à mes souhaits que cet endroit ; né ici, je reconnais dans ma ville l’immobilité que je cherche, la suavité de sa langueur de malade. Je vois cette ville mourir, vidée de son jeune sang. Je la sens ralentir malgré des illusions de soubresauts, jusqu’à l’arrêt cardiaque. Cela me convient. Autour de Croizan, la planète vocifère et guerroie, précipite le pas vers la même déchéance, finalement. Tout cela me fait sourire quand je ne grimace pas d’horreur. Tandis que les humains préparent leur fin, j’écris.
Au fond, Croizan n'est pas tellement éloignée des tourments qui affligent le reste du monde. Croizan connaît le meurtre et la bêtise, le viol, la gabegie, la honte et le remords. Mais les catastrophes et les élans y parviennent fanés. Les maisons sont petites, les trajets sont courts, les quartiers sont des bourgs repliés ; les coeurs dans cet espace, sont chétifs. On se hait sans colère. Il faut de l'enthousiasme, pour nourrir la colère ; Croizan est une ville sans enthousiasme. Son sentiment le plus exacerbé, c'est la rancoeur.
Si j'aime cette ville où je suis né ? Même pas. J'ai sur ses rues et ses places le même regard clinique que sur mon pauvre corps. Je vis dedans, il m'est familier, sa santé débile ne m'irrite pas. Ma ville et moi sommes confondus depuis l'origine, et je considère aujourd'hui mes anciennes velléités de départ comme on sourit à telle saillie de notre enfance, quand on se voyait pilote d'essai ou viking. Il y a des costumes trop grands pour les êtres trop sages.
Commentaires
C'est... pour le moins surprenant d'associer (si j'ai bien suivi) la tranquillité la plus profonde à l'absence la plus totale de compassion.
C'est ce que le roman aurait dû développer (et résoudre) ?
Plutôt que l'absence de compassion, sa réduction. Enfin, ce n'est pas le sujet du roman, non. Ce passage expose un détail. C'est le problème de la forme romanesque : un court extrait ne dit rien de l'ensemble, ou si peu...