Les deux hommes se faisaient face dans la rue centrale. Ils dégainèrent ensemble, vidèrent leur chargeur. La poussière dissipée, ils s'aperçurent qu'ils étaient l'un et l'autre toujours vivants. Ils rechargèrent leur arme et tirèrent à nouveau. Manqués ! Le duel se prolongea ainsi tard dans la soirée, mais personne n'assistait plus à l'ennuyeux échange, qui reprenait ainsi quotidiennement depuis des années. Soudain, l'un d'eux s'écroula. L'autre, tétanisé, n'osant croire en sa victoire, s'approcha. Dans un dernier sursaut, sa victime leva son revolver et tira. Son meurtrier s'effondra à son tour. Le pasteur, averti que le combat avait enfin connut son issue, décida d'en faire le sujet de son prêche du lendemain. Dimanche, du haut de son estrade, il voulut expliquer à ses ouailles quel exemple de bêtise les deux malheureux adversaires avaient donc donné. Mais il perdit le fil, s'embrouilla et ne sus rien en tirer. A la sortie, on se permit des remarques blessantes sur son âge, ses moyens intellectuels qui s'amenuisaient et il décida de reprendre cette histoire, de l'approfondir le soir-même, pour enfin déterminer quelle morale chrétienne on pouvait bien extraire de ce duel absurde qui avait empoisonné la vie de tout Daisy Town pendant plus de dix ans, à ce qu'on disait. Mais certains anciens racontaient que les ennemis s'affrontaient depuis plus longtemps, qu'ils étaient déjà en place alors que la ville n'était même pas encore construite. Qu'ils se défiaient chaque jour depuis la conquête de l'ouest, et peut-être encore avant. Le pasteur fut convaincu alors qu'il tenait là une histoire plus grande que la seule illustration des méfaits de la haine, mais un véritable mythe à l'exemplarité biblique, une légende. Il chercha, réfléchit, compulsa des maîtres de la fable et de la morale, recueillit l'avis des plus grands philosophes. Après des semaines de travail acharné, le pasteur dut se rendre à l'évidence : il n'avait rien à dire sur ces deux cons.