La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent des claques de ferrures, des pas, le feulement d'autres grilles.
Charon était seul. Il abimait son regard dans la porte de la cellule, face à lui. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons. Ils étaient quatre, qui s'écartèrent pour laisser entrer un visiteur.
L'homme s'approcha de lui, considéra l'homme entravé, menotté sur une chaise qui se tassait devant lui. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendait sa herse entre lui et le visiteur. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon redressa brusquement la tête et referma ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il prit des notes sur un carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »