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Teaser

Surtout parce que je manque de matière pour els jours qui viennent (un billet par jour, vous n'imaginez pas le travail), je vous confie ici un extrait de ce fameux livre qui se déroule au XIXème, qui ne sera sans doute jamais édité, et que je ne prévois pas de finir avant qatre ou cinq ans. Pour vous donner une idée de la tonalité de l'ensemble. Un minimum de contexte : Alma vient d'enterrer son mari, sans grand regret. Elle a demandé à son fils, Ernest, de la laisser seule; La voici, dans les premières minutes de sa solitude.

A présent, tout va se dérouler comme prévu. Elle a prémédité chacun de ses gestes, les a imaginés, et répétés à force d'imagination. Elle a voulu être seule, a congédié les domestiques, a supplié Ernest de respecter son vœu. Le prétexte de la douleur a suffi pour éviter les remarques ou les protestations. A présent, Alma referme la porte en baissant les yeux sur les derniers mots de sollicitude dont on l'a accablée toute la journée. Les visages familiers, les têtes inconnues venues comme une houle au parvis de l'église tout-à-l'heure, elle les efface d'un basculement de battant, les fait taire d'un tour de clef. Elle se retourne et affronte l'espace vide de la grande maison. Elle engage la moire ténébreuse de sa robe dans le vestibule, soulève la soie de son jupon qui soupire dans l'escalier, frappe les marches avec le mol accent de ses talons-bobines. Elle observe avec admiration ses mains criblées de dentelles, appuyées au lacet de la rampe, leur trouve une féminité, une grâce ‒ une féminité, une grâce qui lui font penser aux années perdues. Elle défait à présent, d'un geste qui se sait voluptueux, sa longue mante de deuil, l'abandonne au sol, quitte son chapeau qu'elle laisse pareillement tomber dans son sillage. Et les sons infimes de ses fragments de chaîne, amortis par l'épaisseur de l'air, sont comme les baisers d'amants insoupçonnables, évaporés, jamais arrivés ; et l'indécence de cet éparpillement, cette insoumission à l'ordre du deuil dont personne n'est témoin, est pour elle un poing levé. Elle gagne sa chambre aux volets clos, ouvre la porte du cabinet de toilettes où elle se désarmure, quitte le paletot, la robe, les jupons, le cache-corset, le corset, la chemise, le pantalon, les bas et les jarretières, qu'elle a portés comme autant de cilices depuis le matin. Elle se déshabille entièrement et, terriblement nue face à son reflet, désespérément offerte à son seul regard, elle élève avec lenteur ses bras en arche au dessus de sa tête, en arche comme elle croit bien se l'être dit autrefois, l'arche de ses bras blancs noués par les mains au sommet de sa chevelure, dans l'exacte réplique du jour qu'elle fit ce geste pour son jeune mari. Enfin, le barrage des épingles rompu, le chignon délivré se brise et s'effondre, cascade et serpente sur sa nuque, ses épaules, son dos, sa gorge, et ravit au monde toute gloire.

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