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Le philosophe à la mouche

Certainement le philosophe le plus malchanceux de l'histoire. Dès qu'il s'isolait pour réfléchir à un problème, où qu'il soit, chez lui ou à la montagne, à quelque période que ce soit, en été ou au plus fort de l'hiver, une satanée mouche venait ronfler autour de lui pour anéantir toute concentration. Pourtant, il avait une oeuvre à accomplir, il sentait bien en lui bouillonner la conscience, remuer les concepts, s'enchevêtrer les paradoxes et les idées les plus novatrices, mais dès qu'il tentait de les mettre en ordre, de les synthétiser, d'en faire quelque chose, la mouche, inévitablement, invariablement, cruellement, surgissait d'on ne sait où et le harcelait jusqu'à l'exaspération. Il devint fou, essaya toutes sortes de parades mais rien n'y fit. Un jour, tout de même, par pur hasard, il l'écrasa. On imagine sa joie. Elle fut hélas de courte durée : il ne put penser à rien d'autre qu'à elle, sa mort stupide, sa constance et sa fidélité, sa présence, et une terrible culpabilité l'envahit. Il ne fut plus un instant en repos, se maudit d'une telle sensiblerie, mais rien n'y fit, là non plus. Il résolut un jour que, finalement, il n'était peut-être pas fait pour la philosophie, et s'en alla apprendre le métier de croupier.

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