Anonyme parmi des centaines de voitures, il lui sembla qu'il était ce jour-là le seul être compréhensible et concret, la seule créature en prise avec la réalité. Les autres, à leur volant, stressés ou souriants, cigarette aux lèvres ou musique à fond dans l'habitacle, étaient-ils conscients de l'imminence d'une catastrophe, ou tout au moins de la fragilité de leur existence ? Il évitait de regarder l'heure et regardait pourtant. 17 : 13. Il renonça à mettre la radio. Il se pourrait que ni son portable ni sa voiture ne soient bien réglés. Il était peut-être plus tard qu'il pensait. Désagréable incertitude. La voiture avançait, chacun dans la file prenait patience. Cette lenteur était tranquillisante. Il en profita pour tenter de penser à autre chose, mais réussit moyennement. Au delà du prochain carrefour, le trafic s'accélèrerait. 17 : 14. Voilà, le carrefour, faire attention ; on allait pour l'instant encore à une allure raisonnable. La plongée dans le carrefour fit sans doute grimper sa tension dans les artères, il sentit plusieurs fois -tout en se maudissant d'être tellement bête- des vagues de sueur le couvrir des tempes aux lombaires, quand un avertisseur donnait un peu près ou qu'un échappement pétait comme un coup de feu. Enfin, il fut dans la rue qui mène à son quartier. Une longue rue silencieuse et tranquille, où rien ne pouvait arriver. Le jour était beau, particulièrement. Il perçut pour la première fois depuis longtemps, la qualité de la lumière à cette heure-là, au dessus des toits ; son incidence dorée sur la couleur des façades bien entretenues. Il regarda la pendule presque distraitement. 17 : 23.
A suivre